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A Bataville, un fablab réveille l’utopie de la cité modèle

Le 1er avril était inauguré Bataville fablab, dans un bâtiment classé au patrimoine industriel du XXème siècle. © Carine Claude

En Moselle, l’usine désaffectée de chaussures Bata s’est dotée d’un fablab, inauguré lors des Journées européennes des métiers d’art les 1er et 2 avril derniers. Visite guidée d’un site hors norme.

Moussey, envoyée spéciale (texte et photos)

La route est longue avant d’arriver à Bataville, en plein cœur du parc naturel régional de Lorraine. Erigée dans les années 1930, il ne reste de cette ville-usine, naguère capitale de la chaussure à bas coût, qu’une cité ouvrière en briques rouges et son gigantesque site industriel échoué comme un paquebot au milieu des étangs. Un carrefour isolé quelque part entre Nancy, Metz et Strasbourg.

Fermée en 2001, l’usine Bata était un immense complexe industriel créé en 1931.
La site de Bataville dans les années 1940. © CC by-SA-2.0

En 2001, la fermeture de l’usine Bata et ses quelque 800 licenciements avaient ébranlé toute la région, « une véritable blessure industrielle qui a laissé des familles entières sur le carreau », explique Philippe Schiesser, fondateur de l’Ecodesign fablab de Montreuil et enfant du pays, à l’initiative du Bataville fablab, inauguré le 1er avril pendant les Journées européennes des métiers d’art.

Le fablab occupe pour le moment 300m2, mais pourrait encore s’étendre.

«Un triangle des Bermudes rurbain»

« Bata était un poumon économique sans équivalent dans un secteur rural loin de tout, un vrai triangle des Bermudes rurbain, ajoute-t-il. L’horloge de l’usine s’est arrêtée à 13h42, c’était une zone interdite pendant longtemps. Ce ne sera pas facile, mais l’un des challenges du fablab sera de faire revenir des gens de la commune sur les lieux grâce au numérique et à la formation. »

Un retour aux sources pour Philippe Schiesser, originaire de la région.
A Bataville, le temps s’est arrêté le 21 décembre 2001 à 13h42.

Pas facile en effet. Car les anciens ouvriers rechignent à repasser le portail. « Bata les a abandonnés, le père les a trahis », explique Michel Thomas, trente-quatre ans de Bata au compteur, balloté de faillites en reprises jusqu’à son licenciement définitif en juillet 2016. Avec la lente réhabilitation du site, il a trouvé une nouvelle vocation : celle de concierge (bénévole pour le moment) de l’ancienne cantine Bata transformée en tiers-lieu, le bâtiment qui accueille le nouveau fablab. « Pour le moment, c’est plus facile de faire venir des gens de loin qui ne sont pas touchés directement par l’histoire. Mais il faut travailler avec les écoles du village. Si les jeunes viennent, les parents suivront », ajoute Valentin Michaud, le fabmanager.

Michel Thomas, concierge du tiers-lieu (à g.) et Valentin Michaud, fabmanager (à dr.).
Au 2ème étage de la cantine, réhabilitée en tiers-lieu, l’accès au fablab se fait encore à tâtons.

Un fablab dans un monument historique

Aujourd’hui, les anciens bâtiments Bata accueillent une activité résiduelle et quelques associations culturelles essaimées ça et là sur les 60000m2 de plateaux désaffectés. Loin d’être suffisant pour faire vivre ce fleuron du mouvement Bauhaus classé monument historique, labellisé patrimoine industriel du XXème siècle, sorte d’utopie globale à la gloire de son fondateur Tomas Bata et de son modèle fordiste ultrapaternaliste.

Quelques entreprises locales du stockage et du bâtiment sont encore actives sur le site.

A son apogée, l’usine faisait travailler 2700 personnes vivant dans une cité-jardin à cheval sur les communes de Moussey et de Réchicourt-le-Château. Désormais, la cité ouvrière atteint tout juste 600 habitants et peine à maintenir les vestiges de sa gloire passée, comme l’église ou les équipements sportifs made in Bata. « Le souci est la répartition des taxes entre les communes, mais au moins, on arrive à garder le collège », dit Jean-Paul Leroy, maire de Moussey. Cette zone territoriale grise fut créée de toutes pièces par le père fondateur, Tomas Bata.

La cité de Bataville, une architecture vue comme révolutionnaire lors de sa création.
L’église de Bataville sonne toujours malgré la rouille.

« Il avait choisi de s’installer en rase campagne car tout simplement, il n’y avait pas de syndicats en dehors des villes à l’époque, explique Philippe Schiesser. Ce choix délibéré d’être loin de tout et de jouer avec l’absence de contre-pouvoirs lui a permis de construire une ville complète dédiée à l’activité économique, mais aussi aux loisirs, au commerce, à la religion, et bien entendu, à un certain culte de la personnalité. Cette forme de capitalisme paternaliste est assez étonnante, il y a derrière une forme d’utopie que l’on aime ou pas, mais cette ville, ces bâtiments, ces immeubles en pleine campagne sont étonnants. »

«Il faut créer une nouvelle utopie à Bataville.»

Philippe Schiesser, fondateur du Bataville fablab

La folie des grandeurs: la salle de bal Bata et ses colonnes d’inspiration pharaonique.

L’histoire hors norme du site en intrigue plus d’un. Sur un coup de cœur, Ghislain Gad, fonctionnaire un peu mécène dans l’âme, achète deux bâtiments en 2008 et rêve d’y installer résidences d’artistes et pôle d’excellence des métiers d’art. Une idée qui semble faire son chemin puisque le site a été choisi cette année pour accueillir les Journées européennes des métiers d’art et faire connaître le savoir-faire artisanal, en particulier verrier, de la région.

Ghislain Gad démarre la visite guidée des Journées des métiers d’art au porte-voix.
L’inauguration des Journées européennes des métiers d’art.

Plus récemment en 2016, l’architecte Patrick Bouchain, grand faiseur de friches culturelles (dont la Belle de mai à Marseille et le Lieu unique à Nantes) a missionné sur place son bureau d’études pendant un an pour rédiger un guide de réhabilitation à usage des élus locaux. Principales préconisations ? Valorisation du patrimoine, circuits courts et mutualisation des espaces. L’équilibre économique du site est encore loin d’être trouvé, même si les conseillers territoriaux se montrent plutôt favorables aux initiatives d’occupation, y compris celle du fablab.

Objectifs: insertion et formation

« Avec le fablab, on veut travailler sur l’innovation sociale, sur l’hybridation des approches, dit Philippe Schiesser. La grande préoccupation des élus est celle de l’insertion et de l’emploi. Une zone rurale à revitaliser rencontre les mêmes difficultés qu’une zone urbaine sensible. Les territoires ruraux doivent revendiquer leur place dans le numérique, aussi bien dans l’agriculture que dans le tourisme. Mais les formations post-bac manquent, le fablab peut être une bonne boîte à outils pour ces questions. »

Carrefour industriel en rase campagne.

Le fablab n’est pas financé par les collectivités, mais ses locaux sont mis à disposition gratuitement par la communauté de communes de Sarrebourg. Petit à petit, Philippe Schiesser l’équipera en machines légères pour coordonner des ateliers avec les fablabs et associations de la région, comme les Strasbourgeois de Form’maker venus prêter main-forte pour l’inauguration.

« Le problème, c’est surtout l’ancienne génération, car ils veulent un truc rentable tout de suite, déplore Michel Thomas, le concierge reconverti, lui-même élu local. On ne cherche pas à recréer des emplois tout de suite, mais à redynamiser le site. Si quelques personnes s’installent, ne serait-ce qu’une famille, ça peut déjà sauver une classe d’école. Nos villages ne mourront pas si on arrive à fédérer les gens sur un projet de vie plutôt que sur un projet économique. Le fablab peut aider à ça. »

Le Bataville fablab est ouvert les samedis de 11h à 17h (contacter en amont le fabmanager)