Semi-ouverts, ils proposent des ateliers de fabrication numérique aux start-ups, aux entreprises innovantes et aux étudiants ingénieurs. Les labs hybrides éclosent partout en France, de la Halle Freyssinet aux incubateurs.
Le 26 octobre ouvre à Villeurbanne, tout près de Lyon, le Bel Air Camp, gigantesque complexe de bureaux avec ateliers de prototypage personnels et partagés. A Evry, en banlieue parisienne, Télécom SudParis a inauguré fin septembre Etoile (Espaces et technologies ouverts pour l’innovation des laboratoires et des entreprises), « où se rencontrent entreprises, chercheurs, étudiants et start-ups », avec fablab partagé. Le 12 octobre, c’est l’école d’ingénieurs Icam qui inaugurait son (plus modeste) fablab, le Sénart’Lab à Lieusaint, en Seine-et-Marne. En 2017, la Halle Freyssinet à Paris aura elle aussi son lieu hybride avec la gigantesque Station F, portée par le patron de Free Xavier Niel. Au sein de l’« écosystème entrepreneurial » qui devrait y pousser, un fablab. Entre l’espace de fabrication numérique associatif, ouvert à tous, et le lab d’entreprise, plutôt fermé, émerge un nouveau genre de lab hybride.
Les maires de Paris et Londres, sur le chantier de Station F en août:
Cambridge made in Lyon
A Villeurbanne, Pauline Siché, qui porte le projet du Bel Air Camp avec le promoteur immobilier Didier Caudard-Breille, l’assure : « Nous ne sommes pas en concurrence avec les fablabs. » L’atelier partagé, dont l’ouverture est prévue début 2017, sera destiné aux seuls locataires. Aucun accompagnement sur les machines n’est prévu : les utilisateurs seront déjà des initiés.
A l’origine du complexe, un voyage organisé par la métropole de Lyon à Boston pour découvrir les lieux d’innovation. Didier Caudard-Breille découvre alors le Cambridge Innovation Center. Pauline, elle, était à la recherche de 200m2 pour créer un espace de co-working. Elle obtiendra finalement… 20 000m2, avec pour mission de créer dans ces anciens locaux d’Alstom Transport un pôle d’entrepreneuriat dynamique.
Le bâtiment est entièrement financé sur fonds privés. Cibles : des entreprises de robotique, des fabricants de drones ou de matériel de réalité virtuelle. Les premiers arrivants sont les salariés d’Evotion, une entreprise de robotique évènementielle lyonnaise.
« Avant, ils bidouillaient dans leurs bureaux et allaient dans les fablabs lorsqu’ils avaient besoin de machines », explique-t-elle. Désormais, les employés n’auront que quelques mètres pour passer des bureaux à leur atelier personnel ou au fablab partagé.
Le complexe accueillera aussi une entreprise qui fait de l’impression 3D en chocolat, des fabricants de batteries de vélos, des masques anti-pollution ou des rampes de BMX. Des bureaux d’experts comptables et d’avocats sont aussi partants, alléchés par le vivier de jeunes entreprises innovantes.
Retour à la matière
Vrai ou faux fablab ? Là n’est sans doute pas la question. Cette nouvelle vague de labs est d’abord le signe d’une démocratisation des outils de fabrication numérique. Si le marché de l’imprimante 3D de bureau n’est pas arrivé à maturité, l’industrie poursuit sa croissance : selon le cabinet Gartner, la vente des imprimantes 3D aurait doublé entre 2015 et 2016. Pour Philippe Silberzahn, d’EM Lyon, l’école de commerce associée à l’Ecole centrale de Lyon dans le programme Idea (avec fablab incorporé), pas de doute, « une révolution des outils » est en marche : « La démocratisation des outils est un facteur d’accélération de transformation et permet l’émergence de ces labs, explique-t-il. Il y a encore cinq ou six ans, créer un lab aurait coûté une véritable fortune, aujourd’hui, les budgets sont bien plus modestes. » Le montage d’un labo de biologie est passé en quelques années de « plusieurs millions d’euros à quelques centaines de milliers », donne-t-il en exemple. Il n’y a pas que la facilité d’accès mais aussi celle d’utilisation : « Pour l’imprimante 3D, on peut former quelqu’un à la manipulation du logiciel en quelques heures. »
La démocratisation des outils a suivi l’éclosion d’une nouvelle forme d’entrepreneuriat. « On a formé des générations de managers et d’ingénieurs assez éloignées de la matière, du produit, analyse Silberzahn. Surtout en France, le pays de Descartes où la pensée est noble et où tout ce qui est fabrication lui est un peu subordonné. Le lab, que ce soit en enseignement ou en entreprise, correspond à une volonté de revenir en arrière et de donner la capacité de manipuler la matière. »
Enseigner la culture du faire
Apprendre par le faire, c’est le nouveau credo des grandes écoles et de certaines universités. En 2012, l’EM Lyon a été l’une des premières à se doter d’un grand fablab avec son programme Idea, partagé avec l’école d’ingénieurs Centrale Lyon. Où le fablab est le point central de la pédagogie. Ce qui, « fondamentalement, veut dire une succession de projets et une culture du faire », explique Philippe Silberzahn.
Depuis la rentrée de septembre, d’autres projets hybrides incubateurs-universités s’engagent dans la même voie. Fin septembre à Evry (Essonne), Télécom SudParis a inauguré en présence du Premier ministre (et ancien maire d’Evry) Manuel Valls le bâtiment Étoile, avec Télécom EM (école de management). Un lieu partagé entre les étudiants ingénieurs, les chercheurs et les start-ups incubées sur le campus, dont 1200m2 sont consacrés au prototypage et à l’expérimentation (avec fablab et living lab). Ce projet que l’école développe depuis une dizaine d’années aura coûté 12,8 millions d’euros.
Savoirs, innovation, entrepreneuriat : Étoile renforcera le pôle d’excellence que sont @TelecomSudParis, @TelecomEM et leurs partenaires. pic.twitter.com/RzJuX8w5Jc
— Manuel Valls (@manuelvalls) 24 septembre 2016
« Les start-ups n’hésitent plus à aller vers du produit ou des services accompagnés par du hardware, observe Olivier Martinot, directeur de l’innovation de Télécom SudParis. C’est en effet une évolution. Il y aura toujours des services web, mais ce n’est plus la seule voie d’entrepreneuriat. »
L’esprit fablab dans la coopération
Si ces nouveaux fablabs ne sont pas ouverts à tous comme le préconise la charte du MIT, ils en gardent tout de même certains principes, dont la collaboration. Olivier Martinot pour Étoile dit vouloir tisser des liens avec les labs industriels et les fablabs du territoire (Nokia, Safran ou le Plascilab de Ris Orangis). Avec les fablabs universitaires, « on partage nos expériences, nos erreurs pour éviter de faire deux fois la même chose ». Pauline Siché pour Bel Air Camp espère bien créer des passerelles avec ses voisins Alstom Transport, Safran Landing Systems (aéronautique) et la fonderie Trinquet. Ils partageront au moins la cantine… et Bel Air Camp collabore déjà avec la fonderie, qui va fabriquer une partie du mobilier.
Tout l’enjeu sera ensuite de pérenniser le lieu. Pour Jean Nelson, patron de Youfactory, usine collaborative professionnelle ouverte au public à Villeurbanne, l’ouverture du Bel Air Camp est plutôt une bonne nouvelle, « le signe d’un vrai intérêt vis-à-vis de ce concept de lab et d’espace ressource ». « Encourageant », donc, même si « les labs ne tournent pas tous seuls ». Animer un lab est un métier, tout comme « amortir 500 000€ de machines », rappelle l’entrepreneur.
«Les créateurs de labs ne sont pas n’importe qui, ce sont des moutons à cinq pattes à la culture incroyable.»
Jean Nelson, Youfactory (Villeurbanne)
Même son de cloche du côté de Philippe Silberzahn. Pour que le lab ne soit pas qu’un lieu d’affichage, « il faut le penser en fonction des modes d’organisation, le relier au processus d’innovation et d’expérimentation et l’intégrer très tôt dans une vraie pensée managériale. C’est un peu comme la transformation numérique : soit on met plein de numérique juste pour mettre du numérique, soit on transforme effectivement nos manières de travailler. »
De l’usage aux mentalités
Alors, cette vague de labs, effet de mode ou changement en profondeur de nos usages et apprentissages ? « Intelligemment conçus, estime Philippe Silberzahn, ces espaces peuvent servir beaucoup plus qu’à faire du prototypage. Certaines entreprises l’ont bien compris qui donnent à leurs employés des objectifs en apparence très modestes : on ne leur demande pas de faire des innovations de rupture mais plutôt d’initier des pratiques avec des équipes pluridisciplinaires. Ces lieux peuvent jouer un rôle très important dans la transformation culturelle d’une organisation. »
La tendance au lab hybride est-elle durable ? Elle est en tout cas déjà positive pour le professeur d’entrepreneuriat : « Il y a un tel bouillonnement. Sur 100 labs qui se créent, il y en peut-être 60 qui fermeront. Sur 40 restants, on peut espérer que certains joueront un rôle de modificateur d’approche. »