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Terra Nostra, retour à la terre pour l’avenir de l’architecture

Le prototype Terra Nostra, construction de terre et bois. © Ensag-Ensal-GA

L’ère du béton a assez duré. Les étudiants en archi de Lyon et Grenoble planchent sur des projets plus «légers pour la planète». Pour leur prototype d’habitat écolo à échelle 1, exposé quartier Confluence à Lyon, ils ont choisi la terre.

Lyon, envoyée spéciale

Dans le quartier Confluence, à Lyon, ça construit à tour de bras. Des immeubles de dizaines d’étages, en béton pour la plupart. Au bout de la rue, un bâtiment fait office de bizarrerie : Prototype Terra Nostra, une construction éco-responsable faite en matériaux locaux.

Le prototype Terra dans son environnement naturel. © Ensag-Ensal-GA

Terra Nostra a été développé par une cinquantaine d’étudiants en architecture, assistés de Compagnons du devoir, d’étudiants en ingénierie, de professeurs et chercheurs. Un projet au long cours : un an au cours duquel les élèves ont imaginé un bâtiment de quatre étages pour 16 logements, l’ont pré-construit dans les Grands Ateliers de l’Isle d’Abeau, à Villefontaine, puis assemblé dans le 2ème arrondissement de Lyon.

Le prototype présente les deux derniers étages du bâtiment et s’inscrit dans une conception de l’espace contemporaine : les espaces communs sont nombreux – cuisine d’été, potagers, terrasses ou laveries – et les lieux de vie sont adaptables – un appartement peut ainsi devenir un espace de coworking et les habitants peuvent ajouter ou supprimer des cloisons au gré de leurs tribulations familiales.

Fabrication des briques de terre et paille aux Grands Ateliers. © Ensag-Ensal-GA

15 milliards de tonnes de sable par an

Le bâtiment est beau et aéré. Mais ce qui fait sa spécificité, c’est avant tout sa matière : la terre. Qui permet une bonne isolation acoustique et une bonne ventilation thermique (un avantage pour le confort d’été). C’est surtout une ressource que l’on trouve en abondance dans la région – Lyon, Capitale de la terre 2016, a d’ailleurs accueilli la 12ème édition du congrès mondial Terra autour de l’architecture de terre.

« L’idée était de réduire l’énergie grise, c’est à dire toute l’énergie utilisée pour la fabrication du bâtiment : l’extraction des matériaux, le transport… », explique Louise Lemoine, étudiante en 5ème année d’architecture à Lyon, qui nous fait la visite. Résultat : neuf camions ont été nécessaires, sensiblement le même nombre que pour une construction en béton, estime-t-elle, les kilomètres en moins (la terre vient principalement de Grenoble).

La terre est aussi une alternative au sable (utilisé pour le verre, le ciment, le plâtre, le béton…), cette ressource non renouvelable qui approcherait silencieusement de la pénurie. Avec une estimation de 15 milliards de tonnes exploitées par an, c’est pourtant la deuxième ressource, après l’eau, la plus utilisée dans la construction. 

Briques, argile et pisé

Le prototype Terra Nostra décline la terre sous toutes ses formes : en briques mélangées avec de la paille, en panneau d’argile, en mortier, en pisé. « Il faut faire des expérimentations car contrairement à la construction en béton, il y a peu de normes », explique Louise Lemoine.

Plusieurs méthodes sur un même mur. © Ensag-Ensal-GA

L’équipe s’est donc appuyée sur les recherches de Craterre, un centre spécialisé basé à Grenoble, mais aussi celles de Maxime Bonnevie, l’architecte coordinateur du projet, qui a remporté en 2012 un prix pour son projet Canopea (les murs, déjà, étaient en terre), et sur le travail de l’architecte chinois Wang Shu, notamment lauréat du Terra Award, premier prix mondial des « architectures contemporaines en terre crue », lancé en 2015 par l’Unesco.

Écologique, certes, mais est-ce bien solide ? La structure du bâtiment est en bois. La terre, donc, n’a qu’une mission de second œuvre. « Notre clé d’entrée a été : quel est le bon usage de la terre pour qu’elle apporte le maximum de ses qualités », explique Maxime Bonnevie. Contre les intempéries, un immense toit en W évite le ruissellement. « C’est ça qui abîme les murs en terre. Alors qu’ici, il peut y avoir une pluie battante, ça ne l’endommage pas », explique Louise Lemoine. Quant à la question du feu, le bois comme la terre seraient bien plus résistants que l’acier « qui devient comme une sorte de Carambar » sous l’effet de la chaleur, assure l’étudiante. « Les normes contre le feu en France exigent que le bâtiment soit assez résistant pour permettre l’évacuation. Avec le bois, tant qu’une bûche n’est pas consumée jusqu’en son cœur, elle ne rompt pas. »

Des logements sociaux en terre et bois

« A Lyon, 3 000 personnes ont visité le proto. On a eu un retour très positif sur l’ambiance et la sensation de bien-être du logement », se réjouit Maxime Bonnevie. Avoir bâti un prototype à échelle 1 « nous permet d’interagir avec des entreprises et des industriels pour passer à la phase d’après, ce qu’on ne peut pas faire si on n’a pas quelque chose de concret à présenter ».

Désormais, il va falloir chiffrer le coût de construction. « C’est un peu plus cher, mais pas beaucoup », estime Bonnevie. Le prototype, évalué à 320 000€, a été financé par des partenariats et des mécénats. Ce coût ne compte pas la main d’œuvre, bénévole et encore lourde, car artisanale.

On est encore loin d’une industrialisation de l’architecture de terre, même si les signaux se multiplient. En Allemagne, on construit déjà des briques de terre et le bailleur social français Actis projette de construire cinq logements sociaux en terre et bois à Grenoble, d’ici 2020. Terra Nostra devrait à terme permettre de développer une méthodologie qui sera mise à disposition de tous les bailleurs sociaux de France. 

Après un dernier week-end portes ouvertes à Lyon pour les Journées nationales de l’architecture, le prototype sera démonté puis réassemblé à Grenoble, dans l’éco-quartier Flaubert, pour lequel le projet a été initialement développé. Il pourra y rester « 5, 10, 30 ans », espère Louise. « Il va servir de salle de classe pour l’école d’archi, les recherches vont continuer et il faut que d’autres écoles s’engagent. Le but n’est pas qu’il reste tel quel et sans vie : c’est un projet pédagogique. »

Prototype Terra Nostra, rue Smith, en face de l’Hôtel de région, à Lyon, visite les mardis de 16h à 20h ; pendant les Journées nationales de l’architecture, les 14 et 15 octobre, visite de 16h à 20h ; à partir du 19 octobre à Grenoble.