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La recherche musicale européenne joue aux hackathons

Muarts, start-up de l'écosystème Musicbricks, propose des interfaces musicales à partir de R-Iot, le prototype développé par l'Ircam. © Muarts

L’Europe et ses centres de recherche institutionnels sont entrés dans l’ère des hackathons. La preuve avec R-Iot, un capteur de mouvement développé par l’Ircam, qui fait partie du projet de prototypes #Musicbricks.

Au dernier Music Tech Fest (MTF), le festival de technologies pour la musique qui s’est tenu à Berlin en mai, Frédéric Bevilacqua, chercheur à l’Ircam (Institut de recherche et coordination acoustique et musique), se promène entre les tables du hackathon pour présenter aux participants le R-Iot, un capteur de mouvements qui les transforme en signaux musicaux. Depuis un an et demi, le responsable du département de recherche en interaction son, musique et mouvement de l’Ircam court les hackathons pour mettre à disposition des makers son prototype. 

Le hackathon du Music Tech Fest, en mai, à Berlin. © Elsa Ferreira

L’Ircam n’a pourtant pas la réputation d’être féru d’innovation ouverte. Une révolution ? Pas vraiment, selon Frédéric Bevilacqua : « Avant, nous touchions les communautés par d’autres moyens, comme les workshops, notamment dans le cadre du Forum Ircam, ou de manière informelle avec des gens qui venaient nous voir directement. » Cependant, dit Emmanuel Fléty, ingénieur électronicien et chef de projet à l’Ircam, « nous sommes des makers au quotidien, tant dans la vie perso que professionnelle, mais le côté “cathédrale bazar” dans le développement ne fait pas partie de notre univers : nous ne cherchions pas à simplifier ou rendre accessible au plus grand nombre, comme c’est le cas d’un hackathon, ni d’incuber à grande vitesse ».

Emmanuel Fléty, ingénieur élctronicien à l’Ircam. © Elsa Ferreira

Co-création européenne

Le premier hackathon auquel a participé l’Ircam est récent, c’était en 2015, à l’occasion, déjà, du Music Tech Fest en Suède. L’Institut vient d’intégrer #Musicbricks, ce programme européen lancé en janvier 2015 qui propose à des centres de recherche en technologie musicale de développer des prototypes, en collaboration avec les utilisateurs, pour un développement rapide et centré sur l’usage. Depuis, Frédéric Bevilacqua s’est rendu en Slovénie, à Londres, à Berlin et à Barcelone pour les hackathons organisés à chaque MTF et pour les Music Hack Day du festival de musique électronique Sonar. En tout, il a distribué une cinquantaine de prototypes. 

Schéma du R-Iot, composé d’accéléromètres, de gyroscopes et magnétomètres. C’est aussi une plateforme de développement qui peut recevoir du code, comme un Arduino. © Ircam

« C’est la première fois qu’on duplique nos prototypes en si grand nombre, explique Frédéric Bevilacqua. C’est la force de ce projet d’avoir mis à disposition des moyens pour aller vers les communautés. » Pour Emmanuel Fléty, « le paradoxe du maker, c’est de passer du prototypage à la commercialisation. Nous sommes toujours dans l’itération, parce qu’il est difficile d’allouer du temps et donc des moyens financiers pour que l’itération soit arrêtée, documentée et distribuée. » L’Ircam a plutôt pour habitude de se tourner vers des partenaires industriels pour distribuer ses produits finis.  

Et si le sursaut venait des communautés d’amateurs ? « Les utilisateurs d’aujourd’hui sont des créateurs de contenus », explique par mail Michela Magas, fondatrice de MTF et directrice scientifique du projet européen Mires (Music Information Research). En résumé, écrit-elle dans un article pour le Centre européen de recherche en informatique et mathématiques, « malgré les remarquables progrès dans la recherche sur l’information dans la musique, les technologies sont difficiles à mettre en œuvre en raison d’une mauvaise communication : les résultats sont éparpillés parmi les pages web institutionnelles et la documentation est souvent négligée ».

Objectif start-ups

A force de rapports longs comme le bras et d’investissements sur les recettes du MTF, Michela Magas a réussi à convaincre l’Europe d’entrer dans l’« Innovation Action », le développement horizontal et l’innovation ouverte. Au terme de chaque hackathon, des équipes sont choisies pour mener à bien leurs projets. Onze équipes d’inventeurs ont déjà reçu chacune une enveloppe de 3 000€, dont un tiers en provenance de la Commission (un deuxième tiers devrait être versé à la fin de l’année, si la Commission estime que les critères d’attribution sont remplis). La Commission finance également les centres de recherche pour qu’ils développent les prototypes #Musicbricks. 

 

La roue des outils #Musicbricks. © Musicbricks

Au bout de la ligne, des start-ups – dont la plupart utilisent le R-Iot. Hi Note, un instrument contrôlé par la respiration destiné (entre autres) aux musiciens à mobilité réduite, et Muarts, une compagnie d’innovation neuroscientifique, déjà constituées en start-up, ont pu accélérer leur développement, se réjouit Michela Magas. Sojaner, créée dans le cadre de #Musicbricks, a déposé un brevet pour sa technologie de contrôle du son par les mouvements de la tête, elle aussi basée sur le R-Iot. Michela Magas espère voir davantage d’entreprises arriver sur le marché après le festival de Berlin. « Certains ne réalisent pas l’étendue du potentiel jusqu’à ce que des DJs célèbres leurs disent qu’ils veulent leurs produits », explique-t-elle. 

Présentation de Hi Note, 2016:

« Musicbricks est un catalyseur, estime Emmanuel Fléty. On était assez épatés et fiers de voir que la communauté de musiciens fourmille d’idées, dans un contexte esthétique qui n’est pas forcément le nôtre. Ça nous sort des sentiers battus, c’est une excellente habitude. » Après avoir offert technologie et conseils gratuitement aux participants des hackathons, l’Ircam devrait désormais entrer dans un processus de transfert de technologie pour permettre aux équipes de commercialiser leurs produits. Encore faudra-t-il rester compétitif, souligne Michela Magas. « Les inventeurs sont maintenant en mesure de choisir d’utiliser les outils #Musicbricks ou des outils compétiteurs. C’est une bonne motivation pour les instituts de recherche de penser de manière compétitive et de répondre directement aux conditions du marché. »

Après un an et demi de projet, Musicbricks touche à sa fin. Et puis ? Un projet de commercialisation du R-Iot avec un partenaire industriel serait en route. L’équipe de l’Ircam espère le proposer entre 100 et 150€ avant la fin de l’année. Entretemps, Frédéric Bevilacqua courra davantage de hackathons, notamment grâce à un autre programme européen, Rapidmix, «centré sur l’utilisateur ».

En savoir plus sur Musicbricks et le Music Tech Fest