Les recettes d’Albertine Meunier pour taquiner Google
Publié le 24 mai 2016 par Elsa Ferreira
En partenariat avec «Fais-le toi-même!», série d’Arte Creative, Makery vous propose une série de tutos d’artistes et makers présentés dans les 8 épisodes réalisés par Adrien Pavillard et Camille Bosqué. A commencer par Albertine Meunier, qui dévoile comment jouer avec l’historique de navigation de Google.
Il faut bien le reconnaître, Albertine Meunier a une obsession pour Google. Ou plutôt, une fascination, corrige-t-elle. « Google a presque une posture d’artiste, mais il ne le sait pas. C’est une sorte de démiurge qui réinvente le monde, qui le numérise, qui le transforme, qui l’engrange… c’est presque un artiste absolu. »
Ingénieure dans une entreprise de télécoms et net-artiste sous son avatar Albertine Meunier, elle fait du géant de la Silicon Valley son sujet d’observation privilégié. Une relation taquine qui oscille entre tendresse, comme lorsqu’elle lui envoie des cartes postales ou part sur les routes de campagne à la recherche des « Google Cow », et affrontement, comme lorsqu’elle fait entrer à coup de hack l’œuvre L.H.O.O.Q, réalisée en 1919 par Marcel Duchamp, dans la période anachronique « Net.Art, DataDada » sur le moteur de recherche. Pas franchement ravi, Google avait commis un de ses employés pour faire disparaître la taquinerie.
Google, « je l’ai humanisé », reconnaît Albertine. Au point de le faire mourir dans Les Illuminés, autel de recueillement et de dépôt de condoléances « à notre ami Google, notre regretté ».
Cinq ans de recherches en ligne publiées
C’est en commençant le projet My Google Search History qu’Albertine a eu « la sensation qu’il était une vraie personne », raconte-t-elle. Depuis 2006, elle compile méticuleusement toutes ses recherches effectuées sur le moteur et les rassemble dans un livre. 137 pages de requêtes confiées, et d’habitude cachées. Le deuxième tome, qui couvre la période de 2011 à 2016, sortira bientôt, plus épais car enrichi de requêtes mobiles.
«J’ai vu qu’il enregistrait tout, des choses que je ne dirais pas, même pas à un ami intime.»
Albertine Meunier
Albertine a pourtant la recherche soft. Pas de question directe, pas de symptômes de maladie, « j’ai une recherche pratico-pratique ». En feuilletant le livre, on peut découvrir qu’elle s’est demandée qui de la Martinique ou de la Guadeloupe était la plus belle, avant de s’envoler pour le Brésil.
On sait aussi que depuis janvier, Albertine a très envie de savoir quel bruit fait la vache, le dindon ou la baleine boréale. Tiens donc, c’est le moment où Google a lancé une fonction qui permet d’écouter des cris d’animaux. En mars, Albertine Meunier et ses acolytes du Datadada organisent donc « un jeu-performance pour déborder la fonction vocale OK Google et son programme » dans lequel les participants doivent imiter les bruits d’animaux fournis par la firme. Une obsession, on vous dit.
«Le cri du dada», Albertine Meunier, Julien Levesque et Bastien Didier, 2016:
Un camion de données pour Google
L’artiste ne caviarde pas ses recherches. D’ailleurs, elle ne les relit pas — à peine un regard en biais pour en tirer un titre. « Tu te jettes à l’eau ou tu ne te jettes pas », tranche-t-elle. N’est-ce pas trop intime ? C’est bien tout le paradoxe. Depuis qu’elle a mis en ligne sa moulinette, l’outil qui permet de traduire les données fournies par Google en format lisible, elle a eu bien peu de retour d’expériences. La peur, pense-t-elle.
Il faut dire que découvrir sa chronologie de recherches est bien déroutant. Effrayant — même si on savait que Google avait la mémoire longue —, gênant surtout.
«Il y a un côté étrange. Tu te vois avec toutes tes préoccupations, ton quotidien qui se déroule, tes voyages, tes peurs, tes défaillances système. Ça joue sur une corde psychologique très impressionnante.»
Albertine Meunier
On préférera peut-être alors laisser les algorithmes — et les employés — de Google prendre soin de ce que l’on sait, mais ne veut pas voir. Google, quel bruit fait l’autruche ?
Pour les partisans du « rien à cacher », Albertine a un message : « Va jusqu’au bout, mets tes données en open data et là tu foutras le bordel. » Pour les autres, c’est plutôt un appel. Passez vos données à la moulinette et faites-en quelque chose. Quoi ? Envoyez-les à Google, suggère Albertine… qui rêve de lui porter un camion rempli de « Google Search History ». Chiche ?
Matériel
– Un ordinateur ;
– Un compte Google.
Fabrication
– Allez sur http://www.google.com/history et connectez-vous à votre compte ;
– Téléchargez votre historique de recherches. En format .json, c’est illisible ;
– Importez les dossiers sur la moulinette, outil de conversion développé par Tristan Savina pour Albertine ;
– Téléchargez les résultats ;
– Lisez (ou pas). Transformez (ou pas).
La série « Fais-le toi-même ! » sur Arte Creative, Albertine Meunier y apparaît dans les épisodes 2 et 7.