Entre pessimisme et optimisme, notre cœur balance. A moins d’un mois de la COP21, la société civile semble prête. Et le gouvernement?
Ce qui est sûr, c’est qu’il y a de l’énergie pour ce débat « Retour à la Terre », organisé par Libération dans le cadre des Rencontres de l’entrepreneuriat social (du 3 au 5 novembre). Autour de la table, Tristram Stuart, écrivain et fondateur de l’organisation anti-gaspillage Feedback Global, Hélène Binet, de La Ruche qui dit Oui, Maxime de Rostolan, fondateur de Fermes d’Avenir, et Nathalie Jaubert, dépêchée par la BNP Paribas – qui s’en sortira plutôt bien malgré quelques bousculades.
Optimisme d’abord : chacun à leurs projets, les nouveaux entrepreneurs se bougent. Tristram Stuart, un Anglais au bronzage californien et à l’aisance de celui qui a couru les conférences, est une star de la lutte anti-gaspillage. Fort de ses quelques livres, Banquets des 5000 et autres Disco Soupes, des repas gratuits préparés avec des surplus de production, il affirme dans un français approximatif : « Il y a un cri du public sur ces sujets-là. »
Tristram Stuart sur le scandale du gaspillage alimentaire (TED Talks, 2012) :
Ferme prototype
Côté français, la Ruche qui dit Oui, qui met en relation les agriculteurs et des communautés de consommateurs, est en pleine expansion : après cinq ans d’existence, l’entreprise revendique plus de 100 000 membres. Un même enthousiasme pour Maxime de Rostolan, « paysan et fier de l’être » clame le t-shirt de cet ingénieur fondateur de Fermes d’Avenir, un ambitieux réseau de fermes au modèle novateur, durable et qui s’appuie sur un processus d’« aggradation » de l’environnement : après un an et demi d’aventure agroécologique dans sa ferme de Touraine, il est « dans les clous » : son entreprise devrait être rentable en année quatre.
La terre en commun, mais aussi une envie de porter un changement de paradigme. Pour Maxime de Rostolan, le déclic survient lorsqu’il visite la ferme du Bec Hellouin, en Normandie : 1 000 m2, 50 000 € de chiffre d’affaires pour un modèle qui allie rentabilité et respect de l’environnement et qui fait l’objet de recherches par l’Institut national de la recherche agronomique (INRA). Maxime a alors une question : « Comment faire pour que cette agriculture devienne la norme ? » Il décide donc d’installer sa ferme comme un prototype dont il transmettra les résultats et les observations à l’INRA. Ses objectifs : sur 1,4 hectare, sa ferme devra être moins chère qu’un tracteur, ne consommera pas de pétrole et créera six fois plus d’emplois qu’une exploitation classique.
L’heure est au réalisme : « On a une approche pratique, à notre échelle. On ne change pas le monde, mais on fait un peu bouger les lignes », défend Hélène Binet, de La Ruche.
«On n’attend rien du gouvernement»
Puisqu’il faut être réaliste, l’état des lieux n’est pas brillant. Côté gouvernement, les choses avancent à leur rythme : lentement. On distribue d’abord les bons points avec un Tristram enthousiaste quant à la loi contre le gaspillage alimentaire qui contraint les grandes surfaces à donner leurs surplus. Retoquée par le Conseil constitutionnel, la loi est devenue une «convention d’engagement volontaire», mais l’écrivain militant ne désespère pas de voir revenir une loi contraignante à l’ordre du jour : « Le monde entier surveille ce vote », fait-il savoir, osant même complimenter le gouvernement français, « le plus progressif du monde sur ce sujet ».
Sur ce sujet, peut-être, mais sur la nouvelle agriculture, Maxime et Hélène se battent parfois contre des moulins à vent. « Ça n’avance pas aussi vite qu’on le souhaiterait donc on n’attend rien du gouvernement, reconnaît Hélène Binet. Mais on aimerait bien que ça bouge, on ne pourra pas tout faire tout seul. » En attendant, l’union fait la force : la Ruche et Fermes d’Avenir se sont associés pour lancer 13 Fermes d’Avenir, un appel à projets pour créer 13 nouvelles exploitations agricoles sur le territoire, cagnotte de 10 000 euros à la clé pour chaque lauréat. « Il y a plein de modèles complémentaires et efficaces, si on pouvait avoir une bannière collective pour défendre nos intérêts, ça serait intéressant. » Après la Grande école du numérique, la Grande école de l’agriculture durable ?
COP21 : le grand ramdam
Pessimisme enfin, sur l’issue du grand ramdam de la COP21. Marcher pour le climat le 29 novembre, jour d’ouverture de la COP21 ? Oui. Mais pas sûr que cela influence les décisions prises à huis clos. Les souvenirs de Copenhague ou de Lima sont encore frais. Maxime a bien été invité par Nicolas Hulot pour parler au Bourget mais « je ne sais pas devant qui, ironise-t-il, et ça sera sûrement en heure creuse ».
« On dit souvent que je suis optimiste, conclut Tristram Stuart. Mais je suis plutôt pessimiste : on est en train de détruire notre vie sur notre planète. » Puisqu’il y a si peu de chances que les choses changent, autant secouer vigoureusement le cocotier, plaide-t-il : « Allez-y, allez tous réveiller vos voisins du monde ». On retiendra le conseil.
Les infos sur la Marche mondiale pour le climat, le 29 novembre 2015
Les Rencontres de l’entreprenariat social de «Libération», avec pour théma ce 5 novembre (19h-20h30) : «Quelle énergie?»