Au Garage d’Alcatel-Lucent, on bidouille à la pause déj’
Publié le 28 octobre 2014 par Quentin Chevrier
Depuis juillet 2014, tous les salariés d’Alcatel-Lucent à Nozay (Essonne) sont invités à venir bidouiller au «Garage», le lab d’entreprise du constructeur de réseaux télécom. Visite guidée.
Ouvrir un lab d’entreprise chez Alcatel-Lucent était à la fois une évidence et un défi. Une évidence car le groupe est la maison-mère des Bell-Labs, dont la réputation n’est plus à faire dans le monde de l’innovation. Depuis 1925 que ces labos existent, ils ont déposé près de 30 000 brevets valorisés à plusieurs milliards d’euros. Et ce sont des ingénieurs de CGE (ancêtre d’Alcatel-Lucent) qui, les premiers, ont eu l’idée d’un système d’impression 3D il y a de ça une trentaine d’années à Marcoussis (Essonne).
C’est aussi ici, que les ingénieurs disposaient il y a 30 ans de 10 à 20% de temps libre pour se consacrer à des recherches personnelles, un système adopté avec le succès qu’on sait par Google depuis. Puisque la recherche et l’expérimentation technique font partie de l’histoire d’Alcatel-Lucent, le terrain semblait plutôt fertile pour y faire pousser un lab.
Alcatel-Lucent, « ALU », comme disent Bertrand Marquet et Pierre Turkiewicz, les co-fondateurs du Garage, n’a pas échappé à la crise et a dû fermer de nombreux sites à travers le monde ces dernières années, avec des centaines de licenciements à la clé. La création du lab d’entreprise n’a pas été simple : « Il a fallu faire sans budget, en adoptant une démarche de prototypage agile pour le projet en lui-même », dit Bertrand Marquet.
Le projet répondait à une nécessité. « On ne prototypait plus, dit Pierre Turkiewicz. Le moindre projet doit suivre un plan de production, réfléchir à sa rentabilité avant même sa conception, répondre à un cahier des charges et des délais incompatibles avec une innovation spontanée, que nous pensons nécessaire à ALU. » Comme certains ingénieurs se sentaient un peu à l’étroit avec ces nouvelles contraintes, une petite équipe « est partie en sous-marin !», ajoute-t-il. « Maintenant, la question d’ouvrir d’autres Garage dans le monde est à l’étude. »
« Le Garage n’est pas un département en soi mais un projet du service d’Open Innovation. Nous n’avons pas de budget dédié, ni d’objectifs chiffrés pour le moment. On navigue à vue, avec de la récup’, de la débrouille… » Grâce à la troisième cofondatrice du lieu, Josselyne Gourhant, madame débrouille-bons-plans du Garage, chaises, bureaux, armoires, ordinateurs, petit électronique sont récupérés dans l’entreprise, qu’elle connaît jusque dans les moindres recoins.
C’est ainsi que Le Garage s’est monté en quelques jours en investissant un espace de stockage d’une vingtaine de mètres carrés. La dizaine de fidèles du lieu se retrouvera vite à l’étroit si le succès est au rendez-vous, où s’ils souhaitent installer de nouvelles machines de fabrication numérique. Premièrement, vingt et quelques mètres carrés, c’est plutôt petit. Deuxièmement (et comme toujours) les normes de sécurité en entreprise ne sont pas solubles dans l’esprit garage.
Depuis cet été, donc, Le Garage est ouvert à tous les salariés du groupe. Encore faut-il qu’ils viennent. Pour rameuter les foules, l’équipe a lancé plusieurs formats, coffee garage, workshops, team-buildings et heures en accès libre. Le temps d’un café, les coffee garage proposent de venir tester une techno. La première édition autour des Google Glass a dépassé tous les espoirs : plus de 60 personnes ont fait la queue dans le couloir, tant pis si le café était froid à l’arrivée. Le premier workshop était dédié au montage d’une imprimante 3D. Une petite dizaine de personnes ont pris le temps d’assembler les pièces sous les conseils d’un spécialiste. Aujourd’hui, l’imprimante fonctionne, et les participants sont les meilleurs ambassadeurs du lieu.
Les participants réguliers (et les co-fondateurs) viennent durant leur temps libre. Comprendre : la pause déj’. « Notre contrainte est simple : les activités du Garage ne doivent pas coûter de temps ingénieur à la compagnie. Ils viennent manger au Garage et prennent une heure ou deux pour bricoler. Le temps libre en entreprise est souvent plus libre que du temps libre à la maison en famille, où on a en fait toujours quelque chose à faire ! »
Les membres actifs du Garage travaillent, pardon, s’affairent, sur des pièces de lave-vaisselle imprimées en 3D, un lecteur de musique pour enfant de 3 ans, une imprimante de Latte Art sur café bricolée avec des lecteurs de disquette de récup’… ainsi que sur des projets techniques comme la génération d’énergie avec la chaleur d’un ordinateur pour alimenter une connexion lifi (lifi = light + wifi = wifi par onde lumineuse), ou encore le développement de drones capables de looping. « On pense utiliser ce drone pour faire une démonstration de notre nouvel émetteur 4G miniature. S’il assure une bonne couverture réseau tout en faisant des loopings entre les bâtiments, ce sera un super exemple de sa fiabilité ! » Banco. Une première utilité concrète du lieu pour les activités du groupe.
Tous ces projets appartiennent à Alcatel-Lucent. « Dans nos contrats, il est stipulé que les inventions des salariés appartiennent à l’entreprise » qui a fourni un environnement et des moyens propices aux idées. Certains hésiteraient à se rendre au Garage pour cette raison. Et pourtant, le 2ème étage du bâtiment Copernic est un lieu ouvert, sans hiérarchie. « Certains commencent par venir parler de leurs idées ici avant de se tourner vers leurs collègues ou supérieurs. Ils ont un premier avis, on peut échanger sans jugement ni contraintes d’un cahier des charges. »
Le Garage crée des ponts avec d’autres labs d’Ile-de-France, comme l’Electrolab, le Carrefour Numérique de la Cité des Sciences, l’UsineIO, le Petit Fablab de Paris… pour tester une sorte de kit Arduino intégrant un module 4G développé avec Orange.
Texte et photos de Quentin Chevrier