Berlin : Entretien avec Tad Ermitaño au MusicMakers HackLab du festival Club Transmediale 2020
Publié le 12 février 2020 par Dare Pejić
Le festival Club Transmediale est l’un des événements majeurs européens explorant les dernières tendances en musique, arts intermédias et contemporains en une seule programmation. Le thème de cette année était la « Liminalité » et le festival berlinois proposait à nouveau un hacklab de music makers. Makery a rencontré Tad Ermitaño, l’un des deux curateurs invités du lab.
Berlin, envoyé spécial,
Après 21 années d’existence le festival CTM et son MusicMakers HackLab reconnectent nouvelles lutheries, makers musiciens, artistes et performeurs. Pour l’édition de cette année, le lab focalisait sur le Sud Est Asiatique. Peter Kirn et Tad Ermitaño accueillaient 22 participants pour l’édition 2020 du HackLab et présentaient le résultat de l’atelier le dernier jour du festival CTM. Le festival, en collaboration avec le Festival Transmediale, invitaient par ailleurs 300 participants venant de 30 pays, des makers sonores, musiciens et performeurs du monde entier. A l’issu du final du MusicMakers Hacklab, Makery a rencontré Tad Ermitaño, un acteur clé des nouveaux médias des Philippines et de l’Asie du Sud Est, pour avoir son impression à chaud de ce lab collaboratif d’une semaine.
Comment avez-vous rencontré Peter Kirn et quand avez-vous commencé à collaborer ?
Il y a à peu près un an, ou même plus, vers 2017 je dirai, une délégation de CTM est venue visiter les Philippines. Ils sont venus échanger et se familiariser avec la scène et la communauté. Ils ont organisé une réunion et j’y ai été invité. J’ai donc rencontré CTM, sans savoir ce que c’était ou qui ils étaient. J’ai rencontré Jan Rohlf [le directeur artistique de CTM, ndlr] et sa femme Eunice dans un restaurant à Makati. Je pense qu’ils avaient lu ou entendu parler de l’agitation de la scène d’Asie du Sud Est et étaient au fait du livre de Cedrik Fermont, Not Your World Music: Noise in South East Asia. Visiblement ils visitaient l’Asie du Sud Est pour cette raison et c’est dans ce contexte que j’ai eu l’occasion de les rencontrer. Quelques mois plus tard, durant la mise en place du festival Nusasonic de Yogyakarta, ils se sont retrouvés en relation avec Tengal Drillon, le directeur du WSK, le Festival of the Recently Possible de Manille. Ce festival est un partenaire du Nusasonic et Tengal m’a informé qu’ils organisaient le Nusasonic Festival à Yogyakarata et m’a recommandé comme hack laber et c’est comme cela que j’ai rencontré Peter Kirn pour la première fois. La fois suivante, lorsqu’ils l’ont organisé à Manille, ils y prévoyaient un hack lab et là ils m’ont dit « Puisque tu as été participant, pourquoi tu ne pourrais pas être mentor cette fois ? » J’ai donc porté le hack lab de Manille avec Peter l’année dernière et ensuite ils m’ont dit, « Viens à Berlin maintenant ». Cela s’est donc passé assez vite.
Quel est votre expérience avec les hack labs, en particulier dans le contexte philippin ? Comment le format hack lab influence votre travail ?
Eh bien, je ne dirai pas qu’il y a quelque chose de vraiment formel à propos du hack lab en tant que hack lab. Je connais mieux les makers spaces et il n’y en a pas vraiment aux Philippines. D’après mon expérience, il n’y a pas d’espace où un tas d’égaux partagent le loyer et où ils mettent un espace de travail commun. C’est vraiment plus un cas où un mécène est impliqué et offre un espace libre chez lui. Et il l’ouvre pour aider ses amis, alors les gens commencent à travailler là. C’est la manière dont la House of Natural Fibre (HONF) à Yogyakarta travaille, ou comment l’espace Terminal Garden de Tengal et Green Papaya peuvent le faire. Donc j’imagine que ce ne sont pas des makers spaces mais plutôt des free spaces. Quelqu’un qui a une idée peut venir là, ou si quelqu’un sur place veut coder quelque chose de nouveau il peut lancer un groupe d’étude. C’est très informel. A ma connaissance, il n’y a pas d’institutions, de clubs ou des choses de ce type, dont le making serait l’activité affichée.
Quelle impression tirez-vous des deux événements, celui de Manille et celui de Berlin ?
Laissez moi réfléchir… Il fait bien plus froid ici (rires). C’est dur de mettre des mots là-dessus. Je dois dire que si Berlin est une ville assez sauvage, elle l’est moins que Manille.
Dans quel sens ?
Il y a plus de danger. Les choses sont beaucoup plus limites. Il existe des endroits où vous pourriez être agressés et vous retrouvez dans une altercation juste parce que vous avez dit la chose qu’il ne fallait pas. C’est un endroit moins sûr. Et bien sûr, il y a des assassinats et du trafic qui échappent à la justice. Tout cela met les gens en difficulté. Bien que les Philippins soient faciles et accueillants, ils ont tendance à être soumis à beaucoup de pression. Je pense que cela se manifeste dans la sensibilité qu’ont les gens. Ils sont plus susceptibles de faire une création sur quelque chose qui les dérange ou de faire des blagues à ce sujet. Il nous est facile de penser à une création où il y aurait des images de sang dans les rues. Des choses comme ça ne viennent pas spontanément aux hackers ici.
Et l’approche du son et de la musique ?
Je dirais qu’il y a beaucoup en commun. Aux Philippines, l’approche est bien plus low-tech. Il y a plus de gens qui s’intéressent aux questions psychiques. Donc, pas nécessairement à coder des trucs, mais plus à faire des choses comme brancher un moteur à un amplificateur afin de simplement l’utiliser de manière incorrecte. Cela signifie également utiliser du voltage, aussi élevé que possible, comme source sonore. C’est vraiment plus comme une expérience scientifique. Ici, selon mon expérience, l’approche consiste à tordre des données plutôt que des objets physiques. C’est une généralisation très large cela dit.
Le sujet « Liminalité » était défini par CTM. Nous avons compris la chose dans l’esprit du métamorphe, du changeur de forme. À Manille, personne ne sait ce que signifie la liminalité diabolique. C’est comme un mot postmoderne. La liminalité peut se résumer à l’idée de se déplacer entre les mondes, comme dans le chamanisme, et beaucoup de légendes sur les monstres, les démonistes, les sorcières… C’est une sorte de capacité archétypale, un peu comme le chaman qui est un adepte de l’espace liminal et c’est là qu’intervient la notion de métamorphe. C’est de là que vient l’idée des masques qui pourraient vous donner accès à différentes réalités. C’est à cela que nous pensions en quelque sorte.
La performance impliquait de nombreux masques.
Oui, en fait l’Anglais, Thomas Meyer, fabrique des masques. Il a animé un atelier de masques et tout le monde a commencé à les fabriquer. Il parlait de la façon dont vous ressentez le masque, de ce qu’il veut dire et du type de personnalité qu’il semble incarner. C’est pourquoi les participants en ont été ravis et l’ont intégré naturellement dans les performances.
Continuerez-vous le travail sous la forme hack lab ?
Cela m’intéresserait de poursuivre. Je ne le ferais pas de ma propre initiative. Je suis assez solitaire par instinct. Je suis très heureux de surfer les vagues et les structures que CTM et Peter ont assemblées, mais je doute que je puisse mettre la même chose en place à Manille. C’est beaucoup de travail, chercher des fonds et je déteste ça.
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