Vergers urbains : comment le futur d’un Paris vert et comestible se dessine
Publié le 17 juin 2019 par Frank Beau
Vergers urbains est un acteur de la revégétalisation de la capitale et un des membres actifs de l’association Fab City Grand Paris qui milite pour la relocalisation de la production en ville. Makery est allé à leur rencontre.
Paris est une ville ancienne, dense et minérale. En 2004, l’APUR (Atelier Parisien d’Urbanisme) faisait remarquer qu’un habitant Parisien dispose de 14,5m2 de verdure (si l’on compte les bois) et 5,8m2 sans les bois. A Amsterdam c’est 36, Londres 45, Bruxelles 59, Vienne 131, Rome, 331. Un romain disposait donc de 22 fois plus de verdure qu’un parisien. L’augmentation des pics de pollution, la part de la voiture dans l’espace public, l’impact des canicules, le départ de nombreux parisiens, ont fait évoluer les mentalités. Depuis 2014, la Ville de Paris a engagé plusieurs programmes visant à végétaliser Paris : l’opération Du Vert près de chez moi, le permis de végétaliser dans l’espace public, mais encore le Budget participatif. L’idée de faire de Paris une ville verte et pourquoi pas comestible fait son chemin, notamment grâce à des associations pionnières comme Vergers urbains.
La création de Vergers urbains
Le projet Vergers urbains démarre en 2012 avec une action de greffe de cerisiers fruitiers impasse de la Chapelle. « Vergers urbains a pour objectif d’amener la nourriture en ville, de faire que les habitants s’approprient leur environnement. L’idée est de changer le paysage, de produire à l’échelle locale, de sensibiliser à l’alimentation saine et de montrer que chacun peut produire en bas de chez lui sous différentes formes », explique Sébastien Goelzer son responsable légal.
Il faut se souvenir qu’en 2014, les jardins partagés de la Ville de Paris, gérés par des associations conventionnées constituent la norme. Ces derniers sont rarement ouverts sur l’espace public. Lorsque la Ville de Paris lance ses actions de végétalisation, le défi de l’implication des habitants se pose rapidement. Des structures comme Vergers urbains vont constituer un rouage essentiel. « Notre rôle est en effet d’accompagner les habitants dans la création de jardins partagés ouverts. Cela peut être avec les bailleurs sociaux, en pied d’immeuble, dans des espaces travaillés par la ville, dans des squares, sur des espaces à dimension privée. Les modèles sont adaptés en fonction des habitants et du site » explique Sébastien Goezler. Vergers urbains répond à des appels à projets de mairies d’arrondissement ou par exemple de Parisculteurs. L’association a ainsi accompagné une centaine de projets sur Paris, en banlieue et dans d’autres régions. Elle compte actuellement cinq salariés, quatre stagiaires, trois services civiques, des freelance et de nombreux bénévoles. Leurs compétences sont variées : animation, jardinage, charpente, menuiserie, paysage, urbanisme, agronomie, arboriculture, etc.
Les premières années de l’agriculture à ciel ouvert
Vergers urbains développe ses propres projets, afin d’expérimenter. Elle gère notamment le jardin pédagogique Commun jardin situé sous la Halle Pajol à quelques pas du local de l’association. Abdel est l’un des jardiniers volontaires présent lors de notre visite. « J’ai tout appris en Algérie avec mon père et grand-père. Je faisais tout : la menuiserie, mécanique, le jardinage » nous raconte t-il. Il vient jardiner à sa guise et très régulièrement et nous montre ces plants de tomate, fraise, oseille, courge, fève, petits pois, haricots. « Pour ce genre de projet, certaines personnes nous ont dit : ça ne marchera jamais » remarque Sébastien Goezler « mais au final la majorité des riverains se montre intéressée par la démarche». Ce projet audacieux montre qu’il est possible que cultiver bien des choses en plein cœur de Paris mais pour les collectifs de riverains, de nombreux défis restent encore à résoudre.
Sébastien cite le projet des Gens de Cottin, emblématique de l’appropriation de l’espace public par des riverains du 18e. Florence Meyer qui a porté l’initiative nous raconte : « Le coin de la rue Jean Cottin servait de poubelle de quartier. Ce n’était pas très agréable. On s’est dit que mettre des jardinières, ce serait bien. Vergers urbains a cru au projet. Nous avons eu quatre programmes depuis 2014 et l’association nous accompagne toujours. La mairie nous a beaucoup aidé aussi ». Vergers urbains a proposé d’installer un composteur, un coffre à outil, récupérateur d’eau afin de rendre l’espace plus accueillant. Mais le projet touche encore une limite critique. « Des gens cassent des branches, mettent des cochonneries dans les bacs, cueillent les fruits quand ils ne sont pas mûrs. Le problème c’est surtout l’été. Le projet a rassemblé jusqu’à 30 personnes. Il ne regroupe plus qu’une douzaine d’habitants. L’incivilité reste un gros problème pour la pérennité de cette action » raconte Florence Meyer.
Pour Philippe Durand, adjoint au maire notamment en charge des espaces verts et de la nature en ville du 18ème « Dans les écoles c’est plus facile l’été car il y a les centres de loisir. Pour les riverains c’est plus compliqué. On peut essayer de voir avec les services de la ville, mais ils sont réticents à mettre le doigt dans cet engrenage. Par ailleurs l’un des gros problèmes de l’été, c’est que l’on a besoin d’eau. Nous avons fait l’acquisition d’Oyas, un système de gestion écologique de l’eau. Ce sont des poteries que l’on met dans la terre, qui puise l’eau quand elle en a besoin. Cela utilise à peu près trois fois moins d’eau, même s’il faut les remplir régulièrement ».
L’engagement citoyen, indispensable au développement de l’agriculture urbaine rencontre partout une limite de continuité. A ce jour nombre de projets passent par le Budget participatif de la Ville de Paris. La ville investit dans le matériel, mais ne peut pas soutenir l’animation. La mairie du 18ème a sanctuarisé un budget sur ces questions et passé un contrat avec Vergers urbains et d’autres structures pour mettre en place ces projets, mais il reste à résoudre l’accompagnement des collectifs sur la durée. Philippe Durand pense que la Ville de Paris doit à terme renforcer ses moyens. « On peut imaginer de créer des cantonniers de quartiers, comme cela existait dans les villages dans le temps », ajoute t-il.
Vera est animatrice locale employée par Vergers urbains. Même si elle n’a pas la charge de suivre chaque projet mis en place, elle représente en quelque sorte les prémisses d’un tel métier. Véra organise des ateliers de semis, bouture, tissage d’osier de Saule, mise en place de composteur et anime des ateliers dans les écoles du quartier Pajol. A ce titre, elle souhaiterait que son travail dans les écoles soit évalué. « A ce jour, il n’y a pas d’engagement au-delà de me faire venir. Les maîtresses ne sont pas associées. Une institutrice m’a dit un jour : ah bon un radis ça fait des fleurs ? Les enseignants manquent de connaissances, du coup ils ne peuvent pas transmettre ». Véra dit avoir trouvé dans un placard un manuel scolaire des années 20. « Il faut voir ce qu’ils savaient sur les feuilles, la botanique, les classes scientifiques, les terres agricoles, à l’époque » remarque t-elle, estimant « au risque de paraître réactionnaire » qu’il faudrait revenir aux programmes d’avant. Marie, est en service civique au sein de l’association. Elle estime pour sa part qu’il faut travailler sur la planification alimentaire, arrêter l’urbanisation, préserver les terres agricoles en Île-de-France. Ce stage est pour elle « Un vrai apprentissage. Je me rends compte de tout ce qu’il reste à faire. Je pense que l’on devrait mettre plus en avant les métiers de paysan, d’artisan ».
Le point de bascule de la ville verte et comestible
En matière agricole Paris repart de loin. « Beaucoup de riverains sont analphabètes en terme horticole. Nos grands parents savaient jardiner, ce qui a été perdu après deux-trois générations d’urbanisation » souligne Philippe Durand. Pourtant, en l’espace de quelques années, à force de multiplier ces initiatives chacun note que les mentalités commencent à changer. « Avant, un enfant voyant un ver de terre était dégoûté » raconte Sébastien Goezler « maintenant dans les animations certains veulent presque les manger ». Pour Sébastien « Le point de bascule de la ville comestible sera atteint lorsqu’on aura regagné du terrain sur la voiture. On voit que les problématiques avancent, avec le débat sur le périphérique, les voies sur berge ». Pour Philippe Durand « L’enjeu est d’arrêter un processus de bétonisation. A chaque fois que l’on fait des aménagements, il faut prévoir de l’agriculture urbaine ». Si le prix du foncier reste la clé, la question de la rentabilité de l’agriculture urbaine commence à se poser. Sébastien Goezler cite à ce titre des projets pionniers. Celui de Toits vivants disposant de 800m2 de maraîchage sur le toit du Centre Jean Dame dans le 2ème arrondissement et La caverne, ferme bio cultivant des champignons de Paris, Shiitakes, pleurotes et endives dans un parking sous-terrain (dont on vous avait déjà parlé l’an dernier).
Vergers urbains participe ainsi à la re-formation d’un écosystème global susceptible de modifier en profondeur notre rapport à la nature en ville. Dans le futur l’association compte apporter son expertise à d’autres villes, renforcer la formation notamment en permaculture comme elle le fait déjà aux côtés de l’École Du Breuil, et développer l’insertion. Le 29 juin elle inaugurera avec d’autres partenaires le projet des Fermiers généreux, sous la Ligne 2 du métro, Porte de la Chapelle dans l’un des quartiers les plus complexes de l’est parisien. Ce lieu ressource intégrera une bricothèque, outilthèque, grainothèque, une cuisine partagée pour transformer les produits cultivés sur place, faire des événements. Il y a fort à parier que toute réussite de conciliation des usages à cet endroit constituerait un élément de bascule supplémentaire vers une conception globale et vertueuse de la place de la nature et de l’agriculture en ville. Une initiative à suivre.
Retrouvez l’association Vergers urbains.