Re-Store : un nouvel espace pour le réemploi à Saint-Denis
Publié le 9 février 2019 par Ewen Chardronnet
Géré par le fablab WoMa, l’espace Re-Store vient d’ouvrir ses portes à Saint-Denis. Une première rencontre publique se tenait le 7 février pour présenter les acteurs du projet et appeler d’autres à les rejoindre.
Au bord du canal, non loin du Stade de France à Saint-Denis, l’ancien site des ateliers d’orfèvrerie Christofle vit une période de transition. Ouvert en 1876 et fermé en 2005, le site est classé à l’inventaire des Monuments historiques depuis 2007. Au pic de l’activité 1 200 salariés travaillaient dans des bâtiments qui s’étalaient sur près de 20 000 m². Le groupe Madar, qui reprend le site au moment du classement, se contente pendant 9 ans de gérer l’existant, sans procéder à des rénovations ambitieuses pour la vingtaine d’artisans, orfèvres, artistes et chefs d’entreprise occupant encore les lieux devenus vétustes.
En 2016, le promoteur Quartus a un « coup de cœur » pour ces bâtiments en brique rouge couverts de lierre qui servent à l’occasion de décors de tournage de films. Il achète le site avec l’objectif de le rénover, se présentant comme une entreprise à l’écoute des habitants, des usagers, qui travaille selon une logique ascendante, afin de concevoir « de nouveaux scénarios d’occupation façonné par les usages » explique Alessia di Palma, la représentante de Quartus lors de la soirée de présentation de Re-Store. Quartus cherche à mettre en œuvre une transition en douceur et à trouver un équilibre entre anciennes et nouvelles activités. Pour ce faire, la restauration et la restructuration du site désormais nommé « L’Orfèvrerie » ont été confié aux architectes Reichen&Robert, et une période expérimentale de transition a été lancée entre septembre 2018 et août 2019 et confié à l’opérateur culturel Manifesto et au collectif Soukmachines pour préfigurer l’avenir du site. De nombreux artistes se sont installés cet automne sur le site au bord du canal.
Dans la continuité du Fab City Summit
Quartus était partenaire en juillet 2018 du Fab City Summit organisé à La Villette autour des démarches de relocalisation de la production, de ville fabricante, dont Makery vous a amplement parlé l’an dernier. « Le projet Re-Store est en quelque sorte une continuité locale des objectifs tracés lors du sommet Fab City » nous dit Minh Man Nguyen du fablab WoMa et également président de l’association Fab City Grand Paris.
En effet, suite au Fab City Summit, Quartus et WoMa ont voulu s’associer sur une expérimentation sur le réemploi et les déchets dans l’objectif de mener des projets de construction. Ils avaient ensemble un projet d’Usine Du Réemploi qu’ils avaient présenté à la manifestation d’intérêt « Inventons la métropole du Grand Paris », projet non sélectionné mais pas abandonné, qui reste un horizon et qui a trouvé à L’Orfèvrerie des locaux pour une premier étape qui explore le stockage intelligent avec de multiples partenaires réunis autour du programme Re-Store. Le projet répondait en effet aux ambitions de Quartus, qui s’était déjà engagé sur la friche culturelle Le 6b à Saint-Denis, et qui souhaite se donner une image qui les ferait passer du statut « de promoteur à celui d’urban maker », cela afin de se positionner comme acteur clé de « la valorisation des territoires et de leurs ressources, de l’urbanisme transitoire et de la transition écologique », explique Alessia di Palma.
Mais « Re-Store n’est pas qu’un projet soutenu par Quartus, il a pour objectif d’impliquer d’autres promoteurs, dont déjà REI Habitat qui est aussi embarqué dans le projet avec sa filière ReMake », précise Minh Man Nguyen. Installé désormais à L’Orfèvrerie sur 200 m² de bureaux, 200 m² d’ateliers et 1000 m² de stockage, Re-Store se fixe ainsi pour objectif de développer collectivement des outils et méthodes appliqués au réemploi pour changer d’échelle : stockage intelligent avec indexation et classement des matériaux ; revalorisation par la transformation de gisements en matériaux utilisables et fabrication de produits finis avec des designers et architectes ; développement d’outils numériques déployables et réplicables à grande échelle. Re-Store vise en particulier le réemploi de matériel de chantiers de construction et de délaissés d’événementiels.
Un projet collaboratif et ouvert
La soirée du 7 février qui rassemblait plus de soixante-dix participants, pour la plupart acteurs du réemploi de la région Ile-de-France, avait donc pour objectif de faire découvrir les locaux de Re-Store et d’inciter de nouvelles personnes à rejoindre l’initiative qui rassemble déjà une dizaine de partenaires. Parmi les structures engagées dans ce projet collaboratif piloté par WoMa figurent ainsi des acteurs situés à différents niveaux de la chaîne du réemploi.
REI Habitat, déjà investi dans l’emblématique projet Wiki Village Factory, est un spécialiste de l’habitat en bois. Avec sa cellule d’action et d’expérimentation ReMake, il s’engage dans Re-Store sur les questions de réemploi du bois, imaginant des mobiliers à partir des qualités premières des matériaux à recycler, plutôt que de designer des objets et d’aller ensuite chercher la matière. Le Rêv Café, café solidaire à Montreuil issu de la collaboration entre ReMake, Yes We Camp et Quatorze, s’implique également. L’équipe du Rêv Café intervient notamment avec du mobilier bois sur la Place de la République à Montreuil depuis juin 2018.
Autre acteur, cette fois dans le champ du conseil et de l’ingénierie du réemploi, l’agence R-USE, qui identifie les gisements, établit un diagnostic sur les ressources, pour ensuite envisager les solutions constructives et leur faisabilité.
Les P’tits Clous, quant à eux, opèrent auprès des plus jeunes, qui à l’heure des tablettes et autres jeux sur la variété des supports numériques, se désintéressent du bricolage. L’objectif de la camionnette des P’tits Clous est ainsi d’aller au contact afin de (ré)apprendre aux enfants (et donc aux parents) à manipuler les outils et les matières.
Le Pavé est un projet de Sasminimum, dont l’objectif est de fabriquer des dalles plastiques 100 % recyclé et recyclable à partir de déchets plastiques collectés dans la nature. L’agence de design stratégique thr34d5 (pour threads) entend valoriser à Re-Store le matériau naturel kombucha pour sa valeur communautaire en démocratisant son ingénierie en open source. L’équipe de EMA Architectes s’implique également, en particulier sur le conseil environnemental et bioclimatique, la maîtrise d’œuvre avec dimension de réemploi et l’expérimentation de matériaux. Exemple cité lors du rendez-vous : la conception de briques à partir des drêches de la brasserie Gallia de Pantin, résidus issus du brassage du houblon.
L’équipe de WoMa, notamment l’agence d’architecture WAO, s’intéresse quant à elle à la conception d’une machine à indexer les planches dans une base de données, un dispositif de mesure automatique à partir de micro-contrôleurs, qui permettra de faciliter le rangement, de répertorier et de mieux gérer les stocks. Un premier prototype scanne déjà les volumes parallépipédiques. La version 2 analysera le poids pour en déduire la densité du matériau. Le projet sera partagé et open source. Matthieu Borssette du master Design by Data de l’Ecole des Ponts Paris Tech veut, lui, développer au Re-Store le « re-generative design », c’est-à-dire les approches génératives appliquées à la conception architecturale à partir de matériaux réemployés.
Un projet qui s’inscrit dans une coopération européenne
Pour conclure la présentation des partenaires, Minh Man Nguyen insiste sur le fait que Re-Store est un collectif ouvert, et qui invite les projets intéressés à venir participer à la démarche collaborative en cours sur le site de l’Orfèvrerie. Et à Makery, il explique : « Nous espérons que l’expérience se poursuivra au-delà de l’expérimentation de 2019. Nous sommes plutôt confiant de l’intérêt de Quartus à prolonger l’aventure, mais il faut d’abord faire la preuve que Re-Store fonctionne. »
D’autant que la collaboration de Quartus avec WoMa et l’association Fab City Grand Paris va se poursuivre dans les deux années à venir autour du programme de coopération européenne H2020 « Reflow », auquel Quartus est associé aux côtés de la Ville de Paris, l’association Ars Longa, le co-working Volumes, Fab City Grand Paris et bien d’autres acteurs français et internationaux.
Reflow est l’acronyme pour « constRuctive mEtabolic processes For materiaL flOWs in urban and peri-urban environments across Europe », processus métaboliques de construction autour des flux de matières dans les environnements urbains et périurbains en Europe. La vision de Reflow est de « développer des villes circulaires et régénératives par le repositionnement de la production et la reconfiguration des flux de matières à différentes échelles ». Six villes pilotes sont notamment engagées dans le projet : Paris, mais également Amsterdam, Berlin, Milan, Vejle au Danemark et Cluj-Napoca en Roumanie. Plus spécifiquement, Reflow s’appuie sur les fablabs et les makerspaces comme catalyseurs d’un changement systémique des environnements urbains et périurbains. Reflow vise à œuvrer dans le champ de l’économie circulaire afin de « faciliter, visualiser et structurer une libre circulation des matériaux, des personnes, des connaissances (technologiques) et des biens communs, réduire la consommation de matériaux, maximiser l’utilisation multifonctionnelle des espaces publics et envisager des pratiques de régénération. » Une aventure à suivre.
Pour en savoir plus sur Re-Store.