Et le premier conférencier est un… cheval
Publié le 9 mai 2018 par Rob La Frenais
Une éleveuse de vers, un homme-forêt, une makeuse d’algues ou des microsiestes performatives… Bienvenue à Radical Relevances, la conférence la plus étrange qui soit, à Helsinki du 25 au 27 avril.
Helsinki, correspondance
Ça n’est pas tous les jours qu’on assiste à une conférence où l’un des premiers intervenants est un cheval… Ce fut le cas pour Radical Relevances, organisée à l’université Aalto d’Helsinki par l’artiste et enseignante Pia Lindman, qui entendait répondre à la question suivante : « Comment pouvons-nous nous impliquer dans de nouvelles façons de penser et de nouvelles pratiques sur la coexistence humains/non-humains, au cœur de transformations planétaires d’envergure à la fois prévisibles et non prévisibles ? » Vaste programme, donc, qu’ont reflété les différentes méthodologies employées au cours de cette rencontre virant de la session thérapeutique au séminaire de science politique, des études non humaines à un rituel de guérison chamanique planétaire ou une réunion d’anthropologie radicale, tout en présentant quelques articles académiques plus conventionnels, depuis l’exploitation minière au Groenland jusqu’à l’être post-humain. Dans son discours d’ouverture, Pia Lindman, qui a récemment représenté la Finlande à la Biennale d’art de São Paulo, s’est présentée comme une guérisseuse dans la lignée de la Kalevala, cette transmission épique finnoise venue du Moyen Âge.
Le département des algues
Quant au cheval, Kristoffer de son petit nom, il participe d’ordinaire à des compétitions équestres comme le saut d’obstacle, le dressage et le tir à l’arc à cheval. Dans le cas présent, il collabore avec Riikka Latva-Somppi au Laboratoire de présence, où, explique l’artiste, il « contribue au processus par des actions non forcées de sa vie quotidienne permettant l’observation et le contact humains ». Les conférenciers ont ainsi eu le droit de le caresser, le gratter, et murmurer à son oreille. Le consentement non humain est un sujet qui prête évidemment à débat, mais Latva-Somppi « s’est efforcée d’ouvrir tous ses sens, permettant au processus (artistique) de se produire dans un état partagé auprès du cheval ». Le cheval, en tout cas, avait l’air heureux.
En un sens, Radical Relevances a été une célébration des formes émergentes. La makeuse-chercheuse Julia Lohmann a utilisé une résidence de six mois au Victoria and Albert Museum de Londres en 2013 pour créer un Département des algues, « communauté de pratiques transdisciplinaires axées sur le développement durable des algues comme ressource pour le faire ». L’algue est en effet incroyablement adaptable, peut mesurer jusqu’à 6m de long et être utilisée comme matière textile, pour le mobilier, la construction – en réalité à peu près pour tout, y compris la nourriture ! Julia a travaillé avec des makers, des artistes et des anthropologues pour créer ce département semi-fictif qui porte aussi à s’interroger sur la vocation d’un musée.
Toujours côté émergence, Petja Ivanova crée des wearable vivants avec ses styroworms – des vers de farine qui sont capables de vivre dans le polystyrène et le mangent. Nous savons tous bien sûr que l’océan est dorénavant jonché de plastique. Ivanova prend un angle différent en décrivant les activités du styroworm. « Le travail du styroworm est de manger. Conçu pour creuser avec des yeux peu développés et par conséquent guidé par son estomac, il creuse et plonge dans l’aliment polystyrène à la fois comme un explorateur et un mineur, son aliénation par le travail n’est pas visible tant qu’il mâche et crée ces niveaux de voies souterraines, un foyer où cet insecte pond les œufs. » Elle porte une robe animée de ces vers vivants.
Nation laboratoire
La Finlande est en un sens une « nation laboratoire » avec ses nombreuses innovations sociales exemplaires à l’instar du revenu universel de base, dont l’expérimentation a beaucoup fait parler d’elle la semaine dernière avec l’annonce de son abandon à la fin de l’année, sur ordre du gouvernement populiste de droite. Non pas parce que le test serait un échec – beaucoup estiment qu’il n’a pas été suffisamment étendu. Quoi qu’il en soit, les Finlandais ont l’expérimentation dans le sang. Un complexe unique vient d’ouvrir ses portes ici à l’université d’Aalto, Biofilia, « base pour le bio-art », le seul laboratoire biologique au monde entièrement équipé et exploité par une école d’art, situé au sein d’un bâtiment d’ingénierie électrique, qui fournit aux artistes les outils de base pour la biologie moléculaire, la microbiologie et la culture tissulaire.
Présentation du laboratoire Biofilia, base de bio-art à l’université d’Aalto (en anglais):
L’artiste italienne Margherita Pevere, également présente à la conférence, compte utiliser activement ce laboratoire pour analyser les sécrétions hormonales de son propre corps et voir si les contraceptifs qu’elle utilise nuisent à l’environnement proche. « Dans le cadre de ma recherche sur les fuites du corps, m’explique-t-elle, je développe le projet Wombs (utérus) qui s’adresse aux peurs, aux désirs et à la négociation autour de la sexualité et la grossesse, et comment la régulation d’hormones pourrait avoir un impact sur les écosystèmes. »
La tout aussi pionnière Bioart Society, dirigée par Erich Berger participait également à Radical Relevances. Leur résidence artistique Ars Bioarctica conduite depuis 2010 en Laponie a notamment accueilli l’artiste Elizabeth McTernan qui s’intéresse aux méthodes utilisées par les chercheurs pour compter les lemmings sautant d’une falaise – ils le font vraiment, mais pas dans les proportions suggérées dans le film hollywoodien Le grand désert blanc, où les producteurs auraient poussé les lemmings de la falaise.
Fausses nouvelles ou faits sauvages?
McTernan a créé un carré à la Malevitch pour imiter et critiquer les méthodes de comptage des chercheurs. Elle utilise le terme wild facts (faits sauvages) pour parler de « l’hallucination de la représentation objective (comme quand nos yeux nous trompent quand nous essayons de voir dans le noir), l’acte subjectif de compter, avec toutes les imperfections et erreurs inhérentes, formant la base empirique pour toutes les connaissances et collectes de données soi-disant “objectives” ». Cette forme de critique est également prisée par l’artiste belge Bartaku qui enquête sur la relation entre lumière, plantes, corps humain/non humain et énergie électrique avec une série d’expérimentations en laboratoire basées sur la théorie critique présentant des cellules photoélectriques comestibles (Photoelectric Digestopians). Il faisait partie du panel de Frontiers In Retreat, programme international de recherche en art, qui posait la question suivante : « Comment les artistes peuvent-ils travailler dans des endroits isolés et contribuer à des codépendances complexes entre l’humain et d’autres formes de vie ? », panel présidé par l’artiste et curatrice Taru Elfving.
Radical Relevances a réuni nombre de représentants de labs. Laura Beloff, du Real Lab à Copenhague, a présenté le projet Rube (Robotic Urban Building Environment) pour l’agriculture robotique et invité les participants à la prochaine conférence Politics of the Machines (politique des machines) du 15 au 17 mai. De son côté, Carolyn Strauss du Slowlab d’Amsterdam déclarait « accueillir à bras ouverts l’incertitude qui abonde dans le monde d’aujourd’hui, ce qui lui permet d’être un portail vers de nouvelles dimensions de pensée et d’expérience. »
En périphérie de toutes les discussions, on trouvait diverses œuvres participatives. L’une des plus intéressantes était proposée par Anne Glassner, artiste et performeuse du sommeil, et Bartaku : Znap – a Nap Happening mettait des divans à disposition des participants pour s’essayer à des « microsiestes », « nanosiestes » et « siestes pour rêves lucides ». Bien mieux que de s’endormir pendant le speech d’un intervenant… Malheureusement, malgré la nature radicale de la conférence, certains intervenants n’ont pas fait autre chose que lire leurs supports mécaniquement – une pratique qui devrait être bannie des conférences.
La conférence s’est achevée par un grand pas de côté par rapport au format habituel de ce genre d’événement, quand les participants ont été invités à s’asseoir sur un tapis et à réfléchir au pouvoir de l’amour pour résoudre les problèmes de la guerre, de la destruction et de l’extinction post-anthropocène. Une stratégie courageuse et risquée qui a produit une discussion curieusement dynamique et semée de conflits, avec des accès de colère dignes d’une session de thérapie de groupe. S’en est suivi une performance participative avec l’artiste, performer et « homme-forêt » Duskin Drum. Tout sauf une conférence normale !
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