Visite aux Counter Culture Labs, berceau du biohack californien
Publié le 20 mars 2018 par Cherise Fong
Une institution! Depuis 2012, les Counter Culture Labs, biohacklab à Oakland, près de San Francisco, défendent la science ouverte citoyenne. Et la culture de champignons…
Oakland, envoyée spéciale (texte et photos)
Une fois à Omni Commons, il suffit de frapper à la porte de ce bâtiment historique (1933) d’Oakland pour qu’on vienne vous ouvrir. Au fond du foyer vide, au bout d’un couloir repeint, on débouche dans le hacker hall, moitié open source, moitié open science. Car ce vaste espace ouvert est partagé en deux : d’un côté, le Sudo Room, un hackerspace pour la démocratisation des nouvelles technologies au niveau local ; de l’autre, les Counter Culture Labs, un collectif de science citoyenne fondé en 2012.
Les Counter Culture Labs (CCL) sont un des onze collectifs qui constituent l’association bénévole et autogérée Omni Commons, avec le Sudo Room, qui donne régulièrement des workshops pour créer son propre wifi, mais aussi East Bay Food Not Bombs, qui cuisine des repas communautaires gratuits six jours par semaine depuis 1991.
Avec la conviction ferme que « la biologie est la technologie du XXIème siècle », les CCL ont installé un biolab DiY à partir de matériel récupéré et développé un espace communautaire pour apprendre à bricoler la biologie, éveiller la curiosité, s’approprier la science et mener ses propres projets d’expérimentations au laboratoire. Sans argent public ou privé, l’association fonctionne entièrement grâce aux bénévoles et la contribution de ses membres, qui paient 80$ par mois (65€) pour un accès illimité.
De façon continue, l’espace accueille certains projets en cours et des événements récurrents. Les membres de Real Vegan Cheese s’y réunissent deux fois par mois pour programmer la levure afin de produire des protéines de lait qui sont ensuite transformées en fromage végétalien. Fermentation Station MycoFermentoOmniMondo est un rendez-vous gourmet hebdomadaire autour de la fermentation du kombucha en thé, des jus de fruits en vin, des légumes, des fleurs, des baies, des champignons en tempeh et autre upcycling artisanal de fongus, animé par des membres du collectif Bay Area Applied Mycology (BAAM). Le dernier projet phare des CCL est Open Insulin, une recherche pour développer une version générique, pas chère et open source de l’insuline.
Devant une muraille de graffitis expressifs sont empilés des outils de cuisine et bouteilles de champignons sur les étagères qui délimitent l’espace CCL. A l’intérieur du labo, à côté du poste de sécurité microbiologique et de l’autoclave se trouvent des appareils reçus en échange de l’aide à Bio-Link, une association qui redistribue le vieux matériel des industries biotech aux écoles, un bioréacteur prêté par une société qui s’est enthousiasmée pour un des projets, une centrifugeuse achetée aux enchères pour 100$, un autre appareil qui date des années 1970…
Un mardi soir, le Français Yann Huon de Kermadec, diplômé en biochimie de protéines, est en train d’opérer une concentration de pro-insuline qu’il vient de purifier. S’il en a assez, il fera des essais de digestion avec de la trypsine, dans l’objectif d’avoir de l’insuline mature. A l’origine du projet, Anthony Di Franco, un ingénieur diabétique qui dépend des assurances pour couvrir son besoin coûteux et quotidien en insuline. L’équipe se réunit au labo tous les mercredis et dimanches, où participent nombre de bénévoles, dont des retraités, des étudiants, des personnes cherchant à gagner des compétences en biochimie, etc.
Depuis 2016, au fond du labo CCL, le collectif BAAM dispose de son propre laboratoire dédié à la culture de champignons. « C’est un espace pour créer une collection de champignons et de souches, explique Mario Gabiati, un des membres passionnés du BAAM Lab. On remplit des boîtes de Petri avec différents milieux d’agar-agar, différents types de sucres, parfois on ajoute un extrait de sol ou des nutriments différents. Ou on fait des expériences pour voir les effets différents de deux sortes de gélose sur le même champignon. »
Sur une étagère, Mario montre une collection en cours de souches : « Celui-ci est un Coprinus comatus comestible assez populaire. Un garçon est venu, il voulait avoir ce champignon, alors on lui a appris comment le cultiver dans une boîte de Petri. Moi je travaille avec cette variété comestible, le Cordyceps militaris. On l’utilise pour tuer les fourmis, parce qu’il parasite différents insectes, mais il est tout à fait comestible, et même médicinal pour les humains ! Je le fais pousser sur ces graines comestibles. J’attends qu’il devienne complètement blanc et orange, puis je l’enlèverai et je le mangerai. »
« J’aime bien aussi cet organisme koji, ou Aspergillus oryzae, à la base d’une grande part de la cuisine japonaise : la pâte de miso, la sauce de soja, etc. Celui-ci a pas mal de contamination bactérienne. Vous voyez, le fongus pousse là où la bactérie ne pousse pas. Dans cette culture, il pousse par-dessus. On imagine combien ça peut être puissant pour les préparations culinaires : non seulement il pousse en dépit de la bactérie mais il la métabolise complètement, donc si jamais il y a de la bactérie dedans, il va la détruire. »
Un des membres les plus actifs du lab, le mycologue Alan Rockefeller, passe plusieurs mois par an au Mexique pour ramasser des échantillons de champignons, puis revient à Oakland pour faire des séquençages pendant plusieurs mois d’affilée. C’est un grand contributeur de la science ouverte, qui poste notamment ses découvertes détaillées sur les sites Mushroom Observer et iNaturalist.
« Chaque type de champignon fait pousser des structures complètement différentes, reprend Mario. L’Armillaria mellea, un parasite des racines, fait pousser des rhizomorphes. C’est un champignon qui peut s’infiltrer dans une racine et tuer un arbre… Les faire pousser dans des boîtes de Petri permet de voir ces structures folles qui poussent sous le sol et qu’on ne visualise jamais normalement. Ici en labo, c’est facile. Dans cet environnement particulier, même la moisissure de pain sur un échantillon contaminé est très belle. »
Mario encourage tous les curieux et curieuses à venir au laboratoire de BAAM pour y pratiquer leurs propres cultures et expériences mycologiques. Le collectif est souvent présent aux événements thématiques dans la région et donne de nombreux workshops de découverte dans le lab, notamment pour faire pousser des pleurotes dans un sac. Mario Gabiati a une formation de biologie marine, mais a toujours aimé ramasser des champignons sauvages dans les bois, « le mystique des chanterelles ». Une fois dans le lab, il est devenu accro : « Vous apprenez des choses dont vous ne saviez même pas que vous étiez curieux. »
Le site des Counter Culture Labs (CCL)