Le Cnes et Open Space Makers lancent leur Tour de France
Publié le 27 février 2018 par Ewen Chardronnet
L’association propulsée par le Cnes veut faciliter le développement de projets open source pour le spatial dans les fablabs, makerspaces, hackerspaces et autres lieux de fabrique collaborative.
Strasbourg, envoyé spécial
Ce samedi 24 février, à l’International Space University (ISU) de Strasbourg, Nicolas Chuecos et Anne-Lise Coudry de l’association Open Space Makers, et Fabio Mainolfi du Centre national d’études spatiales, accueillent les curieux, amateurs et étudiants. Christopher Welsh, le directeur des études de l’ISU, a très vite montré son intérêt pour le projet. C’est lui qui a rendu possible ce rendez-vous, seconde étape – après une première dans le fablab du collège Louise Michel de Clichy-sous-Bois — du Tour de France de quatre mois que l’initiative va mener afin de promouvoir sa volonté de soutenir des projets spatiaux open source issus de fablabs et autres hackerspaces.
Pour les Strasbourgeois, l’International Space University à Illkirch est un bâtiment qui intrigue. Discrète sur la région, l’université privée a été initiée en 1987 au Massachusetts par la Space Generation Foundation de Peter Diamandis, l’entrepreneur spatial à l’origine depuis de la Fondation X-Prize, et plus récemment de la Singularity University et de l’entreprise d’exploitation spatiale minière Planetary Resources. En 1994, l’ISU installe son campus principal à Strasbourg, suite à un appel à candidature remporté par les Alsaciens. L’ISU dispense depuis un Master of Science in Space Studies et a vu y émerger quelques réussites spatiales. Cette année, 43 étudiants de 19 pays suivent les cours en anglais de ce master à vocation interdisciplinaire dans un bâtiment confortable inauguré en 2002 et dont la bibliothèque est sans doute l’une des meilleures bibliothèques spatiales en Europe.
Développer l’open hardware spatial
L’entrée en matière est rapide dans l’auditorium de l’ISU et Nicolas Chuecos ne passe d’ailleurs pas par quatre chemins pour donner la feuille de route technologique. Les objectifs de l’association Open Space Makers sont clairs, il s’agit de développer de l’open source hardware pour le spatial. La charte de l’association en cours de finalisation aura des objectifs bien définis : ouvrir à tous le monde de l’infrastructure spatiale, mettre en lien les makers avec les institutionnels du secteur spatial, développer un accès démocratique aux savoir-faire et connaissances, et créer du matériel spatial libre de manière collaborative, ouverte et responsable. Les amateurs de cartes Arduino sont plus que bienvenus.
Nicolas Chuecos plonge d’ailleurs tout de suite dans la complexité du secteur spatial : « Pour réussir, le modèle open hardware appliqué au spatial doit dès le début intégrer toutes les complexités du processus de développement, c’est-à-dire prendre aussi bien en compte les ressources qu’implique la production que les processus de production eux-mêmes. Et si on veut que les projets soient réellement open source, il est essentiel de les documenter, de publier les plans, manuels, etc., en format écrit, d’abord pour permettre la mise en œuvre des processus de production, mais également pour faciliter leur dissémination open source ». Anne-Lise Coudry précise d’ailleurs que l’open source permet de fournir un cadre protecteur aux projets et que l’association apportera une expertise juridique pour « développer et mettre en place une plateforme web permettant à la fois la gestion de projet collaborative et la publication de documentation sur les matériels open source réalisés. »
Le duo passe ensuite la parole à Fabio Mainolfi du Cnes. Il explique que l’initiative « Fédération » du Cnes est ce qui a impulsé la création de l’association indépendante Open Space Makers. Le Cnes se voit dans cette démarche comme un sponsor bienveillant propulsant le décollage de l’association, une démarche qui s’inscrit dans le cadre plus générale de la politique dite « Open Space » lancée en 2016 dans le secteur spatial français.
New Space ou Open Space?
Regardons un instant les choses du point de vue de Sirius. La communication internationale dans le secteur spatial nous le répète : nous sommes entrés dans l’ère du « New Space », terme utilisé pour qualifier l’ère du spatial privé. Et le décollage récent de la fusée Falcon Heavy a montré au monde entier que cette nouvelle ère avait bel et bien commencé. Depuis le retrait de service de leur navette spatiale en 2011, les Etats-Unis ont en effet ouvert largement le secteur au privé et les initiatives d’astropreneurs se sont multipliées. En 2015, l’administration Obama décide même d’enfreindre le Traité de l’espace de 1967 en autorisant l’exploitation minière des ressources spatiales.
De son côté, prenant acte de cela, l’Agence spatiale européenne (ESA) adopte une stratégie légèrement différente et déclare en 2016 que nous sommes entrés dans l’ère de « l’Espace 4.0 », un nouveau temps pour le secteur spatial qui voit la multiplication d’acteurs spatiaux nationaux, d’entreprises privées, la participation ouverte du monde universitaire et des citoyens, le développement des outils et technologies d’interaction globale. L’ESA déclare que « l’Espace 4.0 est analogue à l’Industrie 4.0, ou quatrième révolution industrielle de la fabrication et des services » et donne des orientations : « Pour relever les défis et développer de manière proactive les différents aspects de l’Espace 4.0, le secteur spatial européen ne peut devenir compétitif à l’échelle mondiale qu’en intégrant pleinement la société et l’économie européennes. Il faut pour cela mettre en place un secteur spatial soutenable en lien étroitement avec la fabrique de la société et de l’économie. »
En France, on parle plutôt d’Open Space. En juillet 2016, le rapport « Open Space : l’ouverture comme réponse aux défis de la filière spatiale » rendu au Premier Ministre par Geneviève Fioraso, députée de l’Isère et ancienne ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, identifie le spatial comme un acteur méconnu de la révolution numérique et recommande « d’ouvrir le domaine spatial aux usages, aux applications, au digital avec la culture de prise de risques associée » et de « mieux partager la culture spatiale ».
Logique «bottom up»
C’est dans ce contexte qu’il y a un peu plus d’un an Fabio Mainolfi quittait son bureau parisien et le monde des lanceurs dans lequel il travaille depuis bientôt quinze ans, pour la nouvelle Direction de l’innovation des applications et de la science du Cnes, en tant que responsable des projets disruptifs. Dès la première semaine il se voit confier une mission émanant du sommet de l’agence spatiale française : « Ouvrir l’infrastructure spatiale aux citoyens et les impliquer dans la construction d’un monde futur en leur permettant de concevoir et produire de l’open hardware. Créer et soutenir un écosystème capable de faire émerger de nouveaux concepts spatiaux susceptibles d’être développés de manière collaborative grâce à l’intelligence collective. »
Comprenant qu’il s’agit surtout d’une vision, Fabio Mainolfi se donne rapidement les moyens de mettre en œuvre sa nouvelle mission. Pour comprendre l’environnement des initiatives collaboratives, il sollicite l’accompagnement de OuiShare et part à la rencontre d’une partie de l’écosystème maker français. Il rencontre les bricoleurs de fusées du hackerspace de l’Electrolab qui sont tout de suite emballés par l’idée d’une initiative spatiale hacker/maker.
Lors de sa présentation à l’ISU, le Franco-Italien explique comment il a été intrigué par la forte interaction entre les activités en ligne et l’ancrage local dans des espaces physiques de rencontre et de partage qui se structurent autour d’un projet commun ou d’un bien commun que peut produire le groupe. « Indépendamment de leurs motivations (économiques, écologiques ou sociales), les communautés ouvertes défendent une gouvernance horizontale, l’apprentissage par pair, la connaissance partagée, la conception ouverte et la fabrication distribuée. » dit-il pour expliquer pourquoi « à l’issue de cette période d’évaluation le Cnes a décidé alors d’adopter ces valeurs, caractéristiques et modes de fonctionnement en tant que modèles » pour l’initiative propulsée sous le nom de « Fédération ».
Mais la question se pose rapidement : « Comment un acteur institutionnel peut-il impulser une dynamique ouverte dite bottom-up épousant toutes les valeurs et les modes de fonctionnement des “communautés ouvertes” ? Comment ne pas être rapidement considéré comme une initiative top-down susceptible d’être rejetée ? »
Fabio Mainolfi constate que « les acteurs établis s’orientent plutôt vers les approches d’open innovation (hackathons, challenges, intrapreneuriat), des approches top-down, semi-fermées ou discrètes. » De l’autre côté, « les initiatives de communautés sont ouvertes et structurées autour d’un projet commun ou d’un bien commun que le groupe peut produire. Il s’agit d’approches bottom-up inspirées par la culture hacker, maker et Do it Yourself. » Il comprend que c’est ce second modèle qui permettra de consolider l’initiative. La décision est alors prise d’impulser une association issue de la société civile par des porteurs externes au Cnes, sans prise directe du Cnes sur son fonctionnement.
Le teaser conçu pour le lancement de Fédération – Open Space Makers au Bourget en juin 2017:
Une association indépendante
« Fédération – Open Space Makers » est officiellement lancée par la direction du Cnes en juin 2017 au salon du Bourget. L’Association aéronautique astronautique de France (3AF), Planète Sciences, l’Electrolab et OuiShare apportent leur soutien.
Jacques Blamont, premier directeur du Cnes et fondateur de la base de Kourou dans les années 1960, qui a contribué à concevoir l’initiative, donne sa vision :
« La fédération que nous vous proposons de créer fédérera des groupes qui resteront indépendants malgré une animation centrale que nous construirons ensemble, je dis animation et non direction, car, à l’exemple du Net, elle n’aura pas de direction. Fédération sera un vecteur de communication, d’apprentissage par pairs, de conception ouverte et de fabrication distribuée faisant circuler des propositions de projets auxquels pourront adhérer les uns ou les autres. Naîtront donc venant du bottom, des projets divers dont le large spectre pourra comprendre aussi bien la fabrication d’équipements spatiaux à mettre en orbite que la mise au point de logiciels, la participation à des opérations comme le dépouillement de données et même, qui sait, le développement de lanceurs, avec des règles différentes pour chacun. La fédération sera une composante originale, une première composante européenne du New Space et de l’Open Space. »
Conférence de lancement au Bourget le 22 juin 2017:
Open Space Makers est finalement créée en octobre 2017, avec Damien Hartmann (investi par ailleurs dans l’Ad Astra Electrolab) en président et Justyna Swat en vice-présidente, même si le fonctionnement de Open Space Makers se veut plus collégial. « Seuls des individus peuvent adhérer à Open Space Makers » précise Fabio, « moi je ne peux pas, je suis du Cnes ! » plaisante-t-il avec son accent napolitain. Le Cnes y joue un rôle de partenaire et de sponsor, sans possibilité d’intervenir dans les décisions de l’association (sans droit de vote), mais assurant un rôle informel dans l’animation et la participation à la communauté à travers l’intervention des ingénieurs, et plus tard la proposition de projets à la communauté et l’apport de formations sous forme de Mooc qui restent à concevoir.
Le Cnes soutiendra donc cette année les étages de la fusée Open Space Makers : créer le cadre et définir les règles du dispositif en matière de propriété intellectuelle, règles de participation, interactions avec l’écosystème existant ; organisation d’un Tour de France pour promouvoir l’initiative ; conception d’une plateforme Web permettant la formation, les échanges et la mise en projet sur un réseau de lieux déjà existants. Une fois le projet déployé, le Cnes jouera un rôle de partenaire et accompagnera les projets qui peuvent intéresser l’agence. « Ils pourront bénéficier d’un support sous forme de moyens et d’expertise, précise Fabio. Un Mooc pourra par exemple leur expliquer comment mener un projet spatial, du mission statement à sa réalisation. Fédération pourra même contribuer à l’installation d’espaces physiques Open Space Makers dans différents fablabs et hackerspaces de France. »
Aujourd’hui l’attelage Fédération – Open Space Makers se lance dans un Tour de France qui les mènera dans les quatre prochains mois de Montpellier à Nantes, de Dijon à Lannion, de Chartres à Toulouse. On les retrouvera très certainement dans un format « off » lors du Toulouse Space Show du mois de juin et lors de la Fab14+, la conférence internationale des fablabs à la mi-juillet.
Le site Internet de Fédération – Open Space Makers
Prochaines étapes (confirmées) du Tour de France Fédération – Open Space Makers : 1er/03 à l’Electrolab de Nanterre, 14/03 au Carrefour numérique de la Cité des sciences, le 24/03 chez Artilect à Toulouse, le 6/04 à Beta Machine à Chartres, ou le 24/05 au fablab Plateforme C à Nantes