Les secrets de l’univers en DiY? On relève les copies!
Publié le 24 janvier 2017 par Nicolas Barrial
La vulgarisation motive des génies auto-proclamés à proposer leurs réponses aux questions en suspens de la science. Un DiY théorique qui déconcerte la communauté scientifique.
Le Guide du voyageur galactique, chef d’œuvre de science-fiction drôlatique de 1978, laissait son héros perplexe, une fois qu’il avait découvert que la réponse au sens de la vie était « 42 ». Ce nombre est devenu si populaire qu’il a inspiré l’école d’informatique éponyme de Xavier Niel, le fondateur de Free. Le 42 de la science contemporaine, c’est la théorie du tout, qui unifie la physique classique et la physique des particules, la théorie de la gravité et la théorie des trois forces fondamentales (électromagnétisme, interaction faible et interaction forte). Le problème étant qu’il est aujourd’hui impossible de faire correspondre la théorie de la gravitation et le modèle standard de description de la physique des particules. En d’autres termes, l’unification des quatre forces fondamentales régissant la physique n’est que théorique. Plusieurs hypothèses ont vu le jour mais aucune n’a été vérifiée par l’observation.
Le comble pour la théorie du tout, c’est qu’il y en ait plusieurs. C’est grâce au physicien Stephen Hawking qu’une communauté d’apprentis scientifiques, parfois sans aucun bagage, s’attaque aujourd’hui aux questions en suspens de la science. En 1988, le physicien enflammait l’imagination avec sa Brève histoire du temps, où il vulgarisait la théorie du tout, en pronostiquant son avènement tout proche. En 2010, le même Hawking affirmait qu’il n’y en avait peut-être aucune (alors même que le biopic qu’Hollywood lui a consacré en 2014 s’appelle The Theory of everything).
La communauté scientifique est parfois démunie face aux « théories » des amateurs. En 2013, Popular Science a supprimé les commentaires de son site en affirmant qu’une petite minorité était suffisamment puissante pour fausser la perception du lecteur. Au début du mois, lors d’une conférence de presse, l’astrophysicien Neil deGrasse Tyson, auteur de la série télé Cosmos, a dû remettre à sa place un homme qui tentait de le convaincre que l’accélérateur de particules du Cern, le LHC, était une menace pour l’humanité.
Science sans conscience
Tout le monde n’a pas la répartie légendaire de l’astrophysicien. En septembre 2016, un enseignant en physique lançait un appel au secours sur Reddit, le réseau social connu pour ses sessions Ask Me Anything (« demandez-moi n’importe quoi ») : « Au secours, j’ai été approché par un excentrique avec des théories du tout super secrètes ». L’un de ses étudiants défendait la découverte d’une théorie universelle de la physique quantique en relation avec la conscience. Si les scientifiques se sont toujours gardés de mettre la conscience en équation, il est possible que l’excentrique en question se soit inspiré de celle d’Athene, célébrité belge du jeu vidéo qui a récolté 4 millions de vues avec sa vidéo Athene’s Theory of Everything (la théorie du tout d’Athene). Parmi les réponses, on recommandait au prof de renvoyer son harceleur à Talk To a Physicist, un service pour physiciens autodidactes lancé par la chercheuse Sabine Hossenfelder du Frankfurt Institute for Advanced Studies. A 50$ les 20mn (46,50€) par Skype, l’appelant peut poser toute question (de physique, mais aussi de philosophie, géophysique, biologie et neurosciences) à son équipe (tous chercheurs et doctorants en physique).
You have a question about #physics and don't know where to even start? Talk to me or someone from my team on skype: https://t.co/c96mc0MDqJ
— Sabine Hossenfelder (@skdh) May 27, 2016
Sabine Hossenfelder tire le portrait des appelants, « tous des hommes » : « La plupart sont à la retraite ou proches de la retraite, généralement d’anciens ingénieurs ou travailleurs dans l’industrie. Ils sont nombreux à appuyer leurs théories sur des images téléchargées ou dessinées à la main. Ils sont peu à utiliser les équations les plus simples. » Ils ont tous en commun de « consacrer un temps extraordinaire à leur théorie » et d’être « frustrés que personne ne s’y intéresse ». Elle conclut avec humour : « Peut-être serons-nous les premiers à découvrir la nouvelle théorie du tout. »
De l’importance des mathématiques
Les apprentis scientifiques ne sont pas apparus avec l’Internet. Le mathématicien Underwood Dudley a notamment écrit sur les pseudo-mathématiciens dans les années 1970. Selon Sabine Hossenfelder, ce sont les connaissances mathématiques qui font le plus défaut aux candidats. La théorie du tout la plus courue dans la communauté scientifique, dite des cordes, dont il existe cinq versions, n’est que mathématique. Elle décrit de minuscules fils vibrants comme matière première des particules. Mais bienvenue dans l’abstraction, elles impliquent, selon les versions, 10, 11 ou même 26 dimensions.
«Faire comprendre la théorie des cordes», TED conférence de Brian Greene, spécialiste mondial, 2005:
La théorie M réunit les différentes versions et remplace les cordes par des membranes. Et notre univers serait une gigantesque membrane qui se frotterait parfois à d’autres membranes… d’univers parallèles. Adoubé par Stephen Hawking, cet univers parmi d’autres lui a fait renoncer à une théorie universelle. Pour Max Tegmark, professeur au MIT, autre candidat à la théorie du tout qui fait l’hypothèse que l’univers serait une équation, c’est une bonne nouvelle, parce que l’univers est ainsi à portée de compréhension. Enfin, si on a la bosse des maths…
La controverse scientifique nourrit les apprentis génies
Le même Max Tegmark a fait l’objet de commentaires peu élogieux de la part de ses collègues. Ces controverses entre scientifiques sont pain bénit pour les impétueux. On ne compte plus les théories sur lesquelles brodent les apprentis génies, associées par la presse à la pop culture, comme dans Matrix. Il y a par exemple celle expliquant que l’univers est un hologramme, ou encore celle postulant que l’univers est une simulation, d’après The Simulation Argument (2003) du philosophe suédois Nick Bostrom, théorie reprise par Elon Musk. En 2007, une autre théorie a failli passer au travers des fourches caudines de la science, celle d’Antony Garrett Lisi. Le physicien américain dont la presse aime à rappeler qu’il est surfeur avait formalisé un élégant graphisme qui déduisait toutes les particules restant à découvrir. Cette théorie a depuis été invalidée par de nombreuses publications.
«Un modèle octodimensionnel de l’univers», TED conférence d’Antony Garrett Lisi, 2008:
Pire review?
On a fait le reproche à Antony Garrett Lisi de ne pas avoir communiqué sa recherche en peer review, cette évaluation par les pairs qui garantit le sérieux d’une publication. Il faut dire que le sacro-saint principe scientifique du publish or perish (publier ou mourir) connaît quelques bugs. Cell, Nature ou Science n’acceptent que 5 à 10% des articles soumis. Et d’autres titres apparaissent, à l’instar de Matters, né en 2016, qui entend « démocratiser le savoir scientifique en retirant la prétention associée à la plupart des journaux scientifiques ».
«Matters», présentation du «journal de la science participative» (en anglais):
La science participative crowdsourcée est-elle la panacée ? Neil deGrasse Tyson a rappelé à l’occasion de sa colère médiatique qu’un article scientifique posant que la terre était plate et qui ne recevrait aucune critique pouvait être interprété comme une preuve que l’article était exact ou que son « auteur a la tête dans le c… ». Elargir à la communauté de la « citizen science » est une piste pour réconcilier vrais chercheurs et scientifiques amateurs. En novembre 2016 a été organisé le tout premier test de Bell conduit par l’homme : The Big Bell Test a proposé aux participants, à l’échelle mondiale, de « bombarder des particules quantiques intriquées (électrons, photons, atomes et supraconducteurs) avec des “questions” dont on ne peut pas prédire les réponses ». Une façon de « réaliser ensemble une expérience de physique quantique unique ». CQFD.