Pour une mort compostée
Publié le 14 mars 2016 par Cherise Fong
Quoi de neuf après la mort? Un linceul conçu par l’artiste Jae Rhim Lee accélère la décomposition grâce à des champignons. En Italie, un duo de designers ont imaginé une capsule biodégradable, où la graine se nourrit du corps pour devenir arbre. Deux prototypes pour un enterrement 100% vert.
Tokyo, de notre correspondante
Les tendances écolo DiY ne s’arrêtent pas à nos existences mortelles. Un enterrement naturel, c’est-à-dire directement dans le sol et sans intervention chimique, est préférable pour tout un tas d’excellentes raisons : les cercueils coûtent cher et consomment énormément de ressources (notamment le bois des forêts), les fluides d’embaumement chargés de ralentir la décomposition contiennent des quantités élevées de formol cancérigène, les cimetières occupent un espace de plus en plus précieux, tandis que la crémation pollue l’atmosphère de dioxyde de carbone…
En deux points du globe, aux Etats-Unis et en Italie, deux protos développés de longue date creusent la voie d’un enterrement 100% vert. Se prêtant à la vente aux particuliers, ils sont déjà compatibles avec les règles de mise en terre dans certains pays anglo-saxons.
Aux Etats-Unis, l’artiste d’origine sud-coréenne Jae Rhim Lee, ancienne étudiante du MIT, a conçu un linceul qui facilite la décomposition grâce à ses « champignons infinis » cultivés pour se nourrir du cadavre humain (ou animal) après l’enterrement et en nettoyer les toxines. Infinity Burial Project a d’abord été un projet artistique expérimental. En 2011, la conférence TED de Jae Rhim Lee connaît un succès viral inattendu, qui la conduit à monter une entreprise dédiée. Une chatte et un homme ont été les premiers cobayes. Sans même passer par une campagne de financement participatif, sa start-up Coeio prévoit de vendre les linceuls aux champignons dès la fin 2016.
La conférence TED virale de Jae Rhim Lee (2011) :
« Pour nous, toute alternative aux méthodes d’obsèques traditionnelles est une bonne évolution, remarque Mike Ma, cofondateur de Coeio avec JR Lee. Cependant, les alternatives à base de crémation nécessitent encore beaucoup d’énergie et polluent l’air. Nous pensons que la meilleure direction à prendre pour les funérailles, c’est ce que la nature a fait pour des millions de corps déjà : la décomposition naturelle et le retour à la terre. »
En Italie, Anna Citelli et Raoul Bretzel ont conçu Capsula Mundi, une capsule biodégradable en forme d’œuf dans laquelle on envelopperait le cadavre en position fœtale, accompagné d’une graine d’arbre. Poussant encore plus loin le principe du retour à la terre pour le renouvellement de la vie, le corps décomposé nourrirait la graine qui deviendrait un arbre dans une forêt sacrée. Présentée au public pour la première fois à Milan en 2003, Capsula Mundi est sans doute le plus poétique de toute une série de projets qui ont pour but de vous réincarner en plante.
Le duo a bénéficié d’un petit encouragement médiatique pendant Lille 3000 et après leur conférence de présentation à Turin en 2015. Comme ce choix d’enterrement est actuellement interdit en Italie, ils cherchent pour l’instant à l’introduire dans les pays où cette solution serait légale.
La conférence TEDx d’Anna Citelli & Raoul Bretzel (2015, en anglais):
A un peu plus long terme, il existe au moins deux autres initiatives internationales pour implémenter des solutions scientifiques et urbaines de funérailles plus écolo.
La Suédoise Susanne Wiigh-Mäsak a développé un processus organique de « promession » qui consiste à lyophiliser le corps, le faire vibrer jusqu’à la poussière, en extraire tous les métaux, puis enterrer les restes dans un cercueil biodégradable.
L’Américaine Katrina Spade a quant à elle lancé Urban Death Project qui consiste à construire un bâtiment dédié aux obsèques et au compostage des cadavres, en centre ville et pour la communauté locale. Sa campagne Kickstarter, terminée en mai 2015, a récolté 91 378$ (alors qu’elle était fixée initialement à 75 000$).
Vu la logistique et les ressources demandées par ces derniers projets, leur implémentation réelle sera intimement liée à la topographie des lieux, à l’adaptation des lois et à l’évolution des mentalités.
En attendant, les projets ne manquent pas pour ouvrir le dialogue et inspirer la réflexion créative sur la mort, les funérailles et l’après-mort, vus par les vivants.
Vidéo de présentation de la compétition Design for Death (2013) :