Une start-up française invente l’impression laser de tissus humains
Publié le 1 février 2016 par Nicolas Barrial
A Bordeaux, Poietis imprime des cellules vivantes. Brevets à l’appui, l’entreprise vient de lever 2,5 millions d’euros pour développer sa technologie guidée par laser d’impression en haute définition de tissus humains.
L’impression de cellules vivantes est un secteur de recherche et un marché avec des indices de croissance vertigineux : 450 millions de $ en 2013 et près du double prévu pour 2018. Reprenant le principe de l’impression 3D, les tissus sont conçus sur des outils de CAO (conception assistée par ordinateur) pour ensuite être imprimés à l’aide d’encres biologiques.
Poietis est une start-up girondine créée en septembre 2014 par Fabien Guillemot, chercheur à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et pionnier international de la bioimpression, et Bruno Brisson, un biochimiste qui possède 20 ans d’expérience dans les biotechnologies. Installée au Bioparc Bordeaux Métropole, Poietis propose, en exclusivité mondiale, une nouvelle approche de la bioimpression.
«L’objectif est de reproduire la complexité du vivant»
Jusqu’ici, la technique employée dans la bioimpression était l’impression par extrusion, soit un système de pousse-seringues qui reprend les principes de l’impression FDM, le modelage par dépôt de matière que l’on connait dans l’impression 3D classique. Son défaut principal est une définition relativement faible (400 à 500 microns).
La technologie développée par Poeitis met en œuvre un guidage laser qui permet de modéliser le tissu biologique goutte à goutte avec une précision de 10 à 20 microns. Le laser est focalisé sur une cartouche formée d’une bio-encre, elle-même composée de cellules vivantes. Lors de l’interaction du laser avec la cartouche, des micro-gouttes sont générées. Elles sont composées de cellules en petit nombre, pouvant aller jusqu’à la cellule unique, soit la résolution maximum possible.
Présentation de la bioimpression guidée par laser Poietis:
Quelques 10 000 gouttes juxtaposées reproduisent aujourd’hui l’équivalent d’un derme et d’un épiderme pour servir à des essais cliniques. Les cellules sont imprimées en quelques minutes et peuvent se conserver jusqu’à trois semaines. Selon Fabien Guillemot, « plus la résolution est élevée, plus on se rapproche de la complexité du vivant », avec un taux maximum de viabilité des cellules imprimées. Cette qualité est également propice à une meilleure prédictibilité de l’évolution du tissu, autrement dit la fameuse impression 4D.
Cosmétique et industrie pharmaceutique
La bioimpression par laser, développée par Fabien Guillemot via une thèse sous contrat industriel européen à l’Inserm et à l’université de Bordeaux, a fait l’objet de dépôt de brevets par l’Institut. Poietis en a obtenu l’exploitation exclusive, ce qui fait de la start-up un acteur majeur du marché de la bioimpression. Marché potentiellement juteux, comme en témoigne le contrat signé en mai 2015 par son concurrent américain Organovo (qui utilise toujours la méthode par extrusion) avec L’Oréal Etats-Unis.
Les perspectives de la bioimpression intéressent particulièrement le marché de la cosmétique, notamment depuis que les essais sur animaux ont été interdits par l’Union européenne en mars 2013. Poietis a d’ailleurs signé en juin 2015 un accord de recherche et développement sur les cosmétiques avec le groupe chimiste allemand BASF. L’industrie pharmaceutique est également dans le viseur de Poietis, en ce qui concerne la « prédictibilité des phases précliniques », précise Fabien Guillemot en rappelant les évènements tragiques survenus à Rennes.
Un crowdfunding «sur-performant»
Afin de passer à une phase industrielle, Poietis a procédé fin 2015 à une levée de fonds, faisant le pari du crowdfunding. « Nous avons fait ce choix parce que nous estimions que la bioimpression est destinée à avoir un fort impact sociétal », explique Fabien Guillemot. « Nous avions prévu 600 000 € de crowdfunding et la même somme de la part d’investisseurs traditionnels. Et nous avons atteint près de 900 000 € sur la plateforme d’equity crowdfunding Wiseed, le reste a été financé par des business angels pour un total global de 2,5 millions d’€. » A la différence d’un financement participatif « classique », les contributeurs des plateformes de crowdequity prennent des participations, autrement dit des actions. « Nous n’allons pas leur envoyer des échantillons de peau en remerciement » plaisante Fabien Guillemot (à gauche dans le Tweet suivant).
« Maintenant que la phase R&D est derrière nous, le financement va nous permettre de nous pencher sur des notions de débit et de robustesse », ajoute Fabien Guillemot. Poietis entend également développer des outils de modélisation simplifiés puisque « le profil des utilisateurs, biologistes notamment, n’intègre pas systématiquement une grand connaissance des outils de CAO ».