«L’altergynécologie» de Poussy Draama à Bandits-Mages
Publié le 17 novembre 2015 par Axelle Terrier
Invitée aux rencontres Bandits-Mages à Bourges, Poussy Draama animait ce week-end un atelier autour de la gynécologie DiY pour femmes et trans. La performeuse explique son travail «sur des narrations alternatives aux narrations dominantes».
La performeuse Poussy Draama promène son personnage de gynécologue itinérante DocteurE Caroline Duchesne partout en France. Dans le cadre des rencontres Bandits-Mages à Bourges, du 13 au 21 novembre, elle y a réalisé une performance et mené ce week-end un atelier de gynécologie DiY à destination des femmes et des trans, avec les artistes Aniara Rodado et Paula Pin. Elle prolongera cette semaine l’échange dans le cadre de la « hack school » des étudiants en art proposée par le festival. Axelle Terrier, l’une des commissaires étudiantes invitées, a réalisé cette interview en amont de la présence de Poussy Draama à Bourges (et par conséquent avant les attentats de Paris).
Votre travail est-il une alternative à la médecine traditionnelle?
Ce que je fais n’est pas une alternative à la médecine, mais plutôt un travail périphérique, une alter-gynécologie. En ce sens, je me considère comme une alter-narratrice, quelqu’un qui travaille sur des narrations alternatives aux narrations dominantes. Il existe beaucoup d’autres médecines dans le monde, comme la médecine ayurvédique, pour qui la médecine est plus une médecine préventive que curative et consiste à travailler sur l’équilibre du corps. L’objectif est d’être en forme pour ne pas tomber malade.
Pour moi, la gynécologie et la médecine, c’est avant tout se connaître physiquement. Mon travail ne consiste pas à faire des diagnostics (je ne suis pas médecin), mais à faire tout ce qu’il y a autour, ce que les médecins ne font pas pour la plupart, c’est-à-dire : information, explication.
Poussy Draama, alias DocteurE Caroline Duchesne, présente son projet de cabinet mobile:
Vous partez du constat qu’il manque quelque chose ?
Oui, je mène un gros travail sur l’anatomie avec le DocteurE. Avant de travailler sur la médecine, j’ai travaillé sur la représentation du corps et du sexe. Une des représentations forte du sexe, c’est celle des parties génitales qui se retrouve soit dans le porno, soit dans la médecine. Dans les deux cas, elle est fictive. L’anatomie qu’on enseigne en gynécologie est fictive. Dix ans d’études pour limiter la chatte à un utérus, un vagin et des ovaires, pas de clitoris, pas d’éjaculations féminines, rien de tout ça ! Alors que ce sont des organes qui sont là, que l’on connaît, mais qui ne sont volontairement pas étudiés dans la narration dominante de la médecine, de l’anatomie. Et la norme du monde gynéco est hétéro, beaucoup de personnes sont de fait exclues. C’est incroyable qu’encore aujourd’hui, pour certaines personnes, il soit difficile d’accéder aux soins courants.
Pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec le collectif catalan GynePunk ?
Les GynePunk sont des hackeuses que j’ai rencontrées à Calafou et qui travaillent dans l’un des seuls hacklabs où il y a une majorité de filles, ce qui est déjà incroyable. Elles ont leur biolab et sont à 100% dans une recherche de bricolage et d’autonomie. Elles ont une vraie pratique scientifique, par exemple elles savent faire un prélèvement et son analyse au microscope. Ma démarche initiale a été de m’intéresser à la représentation, c’est donc d’abord en temps qu’artiste que j’étais allée à leur rencontre.
Vous reconnaissez-vous dans leur pratique?
La situation politique en Espagne a été plus critique qu’en France ces dernières années. Il y a eu des reculs sur l’avortement, sur la Sécurité sociale, etc. En France, nous ne sommes pas à l’abri d’une situation identique, il suffit que le pouvoir se durcisse un tout petit peu… Nous avons cependant avancé en France sur l’avortement. Le Sénat a voté pour qu’il n’y ait plus de délai pour avorter. Avant, tu avais un délai de réflexion obligatoire, tu devais te présenter, puis réfléchir, ce n’est plus le cas et c’est super cool ! Mais les médecins peuvent décider de ne pas pratiquer l’avortement et vous faire la morale. Et certains pratiquent l’avortement terriblement mal, ils font de la boucherie. Évidemment cela dépend de leur personnalité. Certains sont fantastiques, mais ces médecins ont du mal à l’être dans leur cadre de travail, qui n’est pas adapté. Le problème vient en grande partie du fait que la plupart des gens qui veulent étudier la médecine aujourd’hui sont issus des classes supérieures et ne sont pas forcément connectés aux classes sociales de leurs patients.
Dans quel état d’esprit sont les personnes qui participent à vos workshops?
Les gens qui viennent peuvent avoir des appréhensions, mais ils savent très bien qu’elles vont disparaître. Pour que les gens soient à l’aise, je fais en sorte qu’ils comprennent vite la teneur de ce qui va se passer. Il n’y a donc pas de surprise. Mon travail implique la médecine et donc la responsabilité : je ne travaille que sous consentement. J’estime que tout le monde doit être consentant à tout moment de ce que nous sommes en train de faire, donc je suis toujours en train de demander : “Est-ce que c’est ok ? Est-ce que ça va ? Est-ce qu’on peut aller plus loin ? Si cela ne te va pas tu peux sortir de la salle.” Il n’y a aucune obligation.
Les gens qui viennent ont envie d’échanger, ont envie de raconter leur histoire mais aussi de poser des questions. C’est interactif, cela se passe assez naturellement. Je considère que les gens qui viennent sont vraiment co-auteurs de ce qui va se passer, de ce que nous construisons ensemble. Ils sont assez conscients de cela et viennent aussi avec cette idée. Si j’apprends quelque chose à dix personnes, peut-être qu’elles l’apprendront à une, deux ou trois personnes… cela fait un cercle élargi de trente personnes. Je ne suis pas dans le secret, je partage.
Votre camion fait à la fois penser à celui d’une travailleuse du sexe, à la roulotte de la voyante ou au médecin itinérant du XIXème siècle. Une raison particulière pour qu’il devienne votre atelier?
Le camion me permet d’apporter mon esthétique où je veux. Il fait partie en quelque sorte d’une stratégie de communication, de visibilité, c’est un fort symbole, il est rouge, il se voit bien, il est coloré, il permet d’attirer l’œil. De façon très concrète, il me permet d’emmener avec moi une bibliothèque. C’est important car le travail du DocteurE est également d’intéresser les gens à l’histoire de la médecine, une histoire très violente pour le corps des femmes, liée à la chasse aux sorcières, puis à l’ouverture des facultés de médecine dans laquelle les femmes étaient interdites. Auparavant la médecine était empirique, puis il y a eu véritablement un programme politique conçu pour éradiquer le savoir des campagnes, la pratique à domicile, pour l’emmener vers le droit officiel. Ces images de la camionnette de la travailleuse du sexe, de la roulotte de la voyante ou de la DocteurE itinérante me vont !
«Baby I love your body!», un show TV créé par Poussy Draama et Fanny Sosa pour expliquer la sexualité aux enfants (vidéo en anglais):
Votre manière de fonctionner est très proche de celle d’une hackeuse: autonomie, absence de hiérarchie, partage et échange des savoirs… En quoi le «faire ensemble» est-il important?
Dans les hackerspaces, les gens viennent pendant leur temps libre et cherchent et bidouillent des trucs ensemble. Toi tu ne sais pas faire telle ligne de code, alors il y a quelqu’un qui va venir t’aider. La première fois que je suis allée dans un hackerspace, j’y avais été invitée. Mon travail a été super bien compris dans ce milieu alors qu’il s’agit pourtant de milieux plutôt masculins. Mais ce sont des endroits où les gens se retrouvent pour fabriquer ensemble. Et puis ces lieux rassemblent des gens qui font aussi la démarche de sortir d’une culture capitaliste.
C’est d’ailleurs ça qui pose problème au sein des écoles d’art: si c’est trop politique, elles confondent ça avec de l’activisme et préfèreraient former des consommateurs de culture, pas des gens qui veulent changer la société par leurs manières de faire. On est pourtant obligés de s’intéresser aux questions de société, à des choses qui sont aussi basiques que l’alimentation, le logement, la solidarité, l’échange… Comment sont fabriqués nos biens, quel est notre rapport à la technologie, sommes-nous esclaves du hardware, des softwares, comment ces choses-là nous font avancer, mais comment survivre sans elles si un jour ça pète ? Mes ateliers vont totalement dans ce sens ! Ils montrent que le corps est beaucoup trop mis à l’écart ! Et voir que beaucoup de monde souhaite participer à ces ateliers de santé DiY qui impliquent de faire des choses techniques avec les autres, cela montre bien que les gens ont tout simplement besoin de se retrouver ensemble !