Pourquoi le Rural lab, c’est fini, explique Olivier Chambon
Publié le 27 janvier 2015 par Carine Claude
Le plus campagnard des fablabs français a fermé ses portes à Néons-sur-Creuse, dans l’Indre. Son co-fondateur, le fameux «barbu» de la grotte, Olivier Chambon, explique pourquoi ça ferme, un lab en milieu rural.
Lorsqu’il débarque à Néons-sur-Creuse, Indre, 400 habitants, Olivier Chambon, développeur web parisien, vient se mettre au vert… et se retrouve en plein désert numérique. Pour concilier passion de la bidouille et nouveau mode de vie, il cofonde le Rural lab en 2013, un des rares fablabs à ne pas avoir poussé en zone urbaine. L’aventure a trouvé son épilogue avec la dissolution de l’association porteuse du projet, votée en décembre 2014. Depuis la fermeture du Rural lab, Olivier ‘Babozor’ Chambon reste silencieux, hormis quelques rares vidéos postées sur son blog La Grotte du barbu, un podcast de 125 épisodes « funs et débilatoires » sur le DIY, le casual hacking et les aléas de la bidouille. Alors, pourquoi le Rural lab a-t-il fermé ses portes ? Pour Makery, le barbu sort de sa grotte.
Où en êtes-vous depuis la fermeture du Rural lab ?
Je suis revenu sur Paris il y a environ 6 mois et je travaille comme développeur web pour Human Inside, une agence digitale où je fais également du prototypage. C’était une obligation, car je ne me suis pas payé pendant un an alors que je m’occupais du Rural lab à temps plein. Ça a été la descente aux enfers avec les factures impayées, les huissiers… Le coup de massue, c’est quand EDF a coupé l’électricité. Aujourd’hui, c’est un peu le purgatoire, on baisse la tête et on attend que ça passe.
« Le Rural Lab, c’était un point de rencontre, dans un endroit où ce ne sont pas forcément les distractions qui pullulent. Trois mois après l’ouverture, on était déjà connus comme le loup blanc.» Olivier Chambon
Qu’est-ce qui avait motivé le projet de Rural lab ?
On l’a monté un peu à la barbare. Le déclencheur, ça a été l’appel à projet fablabs du ministère de l’Économie en 2013. Ça nous a permis de mettre le projet sur papier plutôt que d’attendre d’hypothétiques financements, puis de créer une association. Ça nous a également permis de tester l’idée du Rural lab et de prouver qu’un fablab en milieu rural avait un sens, car il répondait à un réel besoin des populations locales. Concrètement, on a envahi l’ancien bar du village. A peine la municipalité nous avait-elle donné les clés qu’on a débarqué deux mètres cube de matos, sans trop savoir ce que l’on allait faire de tout ce bazar.
Un fablab apporte quoi de spécial en zone rurale ?
Dans les zones rurales, ce n’est même plus d’une fracture numérique dont il faut parler. En fait, les gens n’ont aucun accès au réseau, car ce n’est pas rentable pour les opérateurs. Alors que j’étais censé être en ADSL, j’étais en 512K ! L’isolement est réel, les services publics et privés se désengagent de ces territoires. Le Rural lab répondait à plein de demandes, y compris de dépannage. On n’était pas là pour donner des cours, mais plutôt pour organiser des ateliers de fabrication en tous genres, de modélisation 3D, d’audio, même de prise en main Internet, car beaucoup de gens ne comprennent rien au numérique. L’idée, c’était aussi de toucher à tout ce qui se bidouille, et pas que du code ! On y a même fabriqué des saucisses… Le Rural Lab, c’était un point de rencontre, dans un endroit où ce ne sont pas forcément les distractions qui pullulent. Trois mois après l’ouverture, on était déjà connus comme le loup blanc.
Quel a été le retour des usagers du Rural lab ?
Le fait d’être installés dans l’ancien bar du village nous a donné beaucoup de liberté, on a été rapidement identifiés. 120 adhérents, c’est beaucoup pour un petit village! 50% d’entre eux trouvaient le concept vraiment cool et fréquentaient régulièrement le fablab. Comme dans toutes les associations, il y avait un noyau dur d’une dizaine de personnes. La cohésion dépend des gens et des liens qu’ils entretiennent. Ça, on ne contrôle pas. Les labs, ce sont les gens qui les font !
Comment le Rural lab était-il financé ?
A la base, je voulais faire payer les collectivités. Les représentants de la communauté de communes se sont d’ailleurs beaucoup impliqués dans le montage du projet. Le village est en plein cœur d’une zone économiquement sinistrée, l’une des plus pauvres de France. C’est pourquoi on est partis sur une base d’adhésion pas chère à 5€. Certains donnaient plus. Quand on monte ce genre de lieu, il est indispensable d’avoir le soutien des politiques locaux. On se revendiquait indépendants, car on ne voulait pas être récupérés mais si on veut trouver des financements, ce sont les collectivités territoriales qui ont les moyens de le faire.
Même si l’intérêt pour notre projet a été validé par la mairie et la communauté de communes, nous n’avons pas pu monter de dossier de demande de subventions à temps. Une association doit avoir au minimum un an d’existence pour instruire ce genre de dossier. Et monter un dossier, c’est long et compliqué ! On a cherché quelqu’un pour nous aider, mais c’était déjà trop tard. Tout s’est joué malheureusement sur une question de timing, il ne nous a manqué que quelques mois pour passer le cap. On s’est appuyés sur des partenariats pour le matériel comme Bosch, Intel. Mais sans trésorerie, ce n’est pas jouable. Je me suis raccroché le plus longtemps possible à l’espoir de générer suffisamment de ressources pour tirer ne serait-ce qu’un micro-salaire. Jusqu’au moment où ma situation personnelle n’a plus été tenable. On devait débourser 500€ par mois rien que pour l’électricité. Et pas mal de mésaventures se sont accumulées, vol de matériel, désaccords…
Comment faut-il s’y prendre pour pérenniser un fablab ?
C’est la question à deux millions d’euros ! En fait, pour établir un business modèle viable, il faut avoir différentes sources de financements : financement public, adhésions, prestations. Ce qui veut dire aussi développer des activités comme par exemple la formation. Il faut taper à toutes les portes pour conclure des partenariats à long terme. On faisait par exemple littéralement le SAV de Microsoft, en gérant les galères des utilisateurs avec leur ordinateur. Pourquoi ne pas avoir carrément un contrat de sous-traitance avec eux?
Une réouverture est-elle envisageable ?
On vient juste de finir de débarrasser les locaux. Il y a toujours des vautours qui rôdent pour récupérer du matériel, mais on l’a redistribué par ordre de priorité aux adhérents, aux usagers, etc. Je ne sais pas exactement ce que le lieu va devenir. La volonté doit d’abord être politique, avec une mairie qui a envie de suivre le projet. Beaucoup de gens sont venus nous voir, d’autres communes sont intéressées. Il y a d’autres initiatives en zone rurale mais comme elles ne sont pas liées les unes aux autres, elles manquent de visibilité. Il n’y a pas de réseau de fablabs ruraux par exemple.
Quels enseignements tirez-vous de cette expérience ?
On a pu nous voir comme des fous furieux un peu cons. Mon côté développeur me pousse à analyser point par point les étapes qui ont conduit à cet échec. Mais en ce qui concerne le retour d’expérience, je ne suis pas sûr qu’il doive être formalisé, chaque fablab est un cas.
Et maintenant, qu’avez-vous envie de faire ?
Pour le moment, je digère, j’assume mes conneries aussi. D’une façon ou d’une autre, ce que j’ai envie de faire les 20 prochaines années, c’est concilier ma passion de la bidouille et le fait de pouvoir en vivre, dans l’idéal, à la campagne. Là, je bouillonne, car j’ai envie de me remettre à faire des trucs. Je vais relancer les vidéos sur La Grotte du barbu, car j’ai plein de nouvelles idées de podcasts. Je n’ai pas dit mon dernier mot!
Fin octobre 2014, la Grotte du barbu a fait son retour avec l’épisode 125. Olivier Chambon y change le disque dur de son vieux MacBook Pro :
Retrouvez l’ensemble des tutos d’Olivier Chambon sur la Grotte du barbu