Chronique d’une makeuse en matériaux #1
Publié le 5 janvier 2015 par Caroline Grellier
Un maker fait-il un bon innovateur ? Caroline Grellier, designeuse fraîchement diplômée de l’école Boulle, tient pour Makery la chronique de son projet de «Coopérative des matières viticoles à valoriser», pour lequel elle vient d’intégrer l’incubateur de Sup’Agro Montpellier. But du jeu: récupérer les sous-produits vinicoles pour concevoir de nouveaux matériaux.
Designer produit passée par l’école Boulle, les matériaux sont mon dada, ma marotte. Je me passionne pour leur fabrication, leur mise en œuvre, leurs applications, et suis convaincue du potentiel d’innovation matériau latent à exploiter dans les sous-produits agricoles. Makeuse à ma manière, j’expérimente ces matières premières avec de petits moyens, sans prétention scientifique, pour tenter, par une approche empirique, de révéler leurs potentiels, qui en feront les matériaux locaux de demain.
Cette démarche m’amène aujourd’hui à intégrer l’incubateur de Sup’Agro Montpellier avec un projet de valorisation des sous-produits vinicoles, que j’avais préparé lors de mon diplôme en 2013. Du projet à l’incubateur d’entreprise, l’approche maker pousse les portes du labo de recherche scientifique.
Du vignoble à la distillerie, en passant par la cave, chaque année en France, ce sont 60 000 tonnes de sarments qui sont taillés, 900 000 tonnes de marcs de raisin distillés, des dizaines de milliers d’hectolitres de lies de vin récupérées, des tonnes de bourbes abandonnées. Or, ces matières ont des potentiels intrinsèques peu, pas ou mal exploités au vu des valorisations actuelles, qui font l’impasse sur une issue matériau.
Octobre 2012, premières expérimentations
Mon protocole de recherche est empirique, basé sur les états des matières premières : solide, liquide, pâte. Je mélange, découpe, brûle, perce, moule. Des expérimentations particulièrement odorantes (qui parfument allègrement le 4ème étage de l’école Boulle à Paris), riches en petits vers blancs, bactéries et moisissures –n’en déplaise à mes voisins de table !
J’avance et je fais intuitivement, sans savoir ce que je recherche. Et comme le hasard fait bien les choses, sur la centaine d’échantillons de toutes sortes bricolés avec les moyens du bord, à coups de moules en bois scotchés, de presses improvisées et de cuissons douteuses (qui ont probablement contribué à accélérer la fin de vie de mon four), une dizaine s’avère intéressante à développer.
A partir des caractéristiques de ces échantillons démarre la phase de conception des applications produits utiles aux acteurs viticoles, où j’imagine les cycles de vie des matières.
Décembre 2012, première version de la Coopérative
Rapidement, l’idée émerge de créer un entrepreneuriat social afin d’ancrer le projet dans une réalité de terrain : la Coopérative des Matières Viticoles à Valoriser ou CMVV, dynamise une économie circulaire, véritable vecteur d’une marque de production locale. Cette micro-entreprise a pour mission de gérer la récupération et le stockage des sous-produits selon la saison, de transformer la matière première en matériaux grâce à la médiation technique et aux partenariats avec les laboratoires de recherche du territoire, et de veiller à la production des objets-applications au service des acteurs de la filière, proposés par les créateurs de la région, inspirés par ces matériaux locaux d’origine viticole. La boucle est bouclée, avec une méthodologie de design inspirée des préceptes de l’économie circulaire.
Le projet se construit de façon globale à échelle locale : l’une de ses richesses repose sur la mise en réseau qu’il va générer. Un modèle pilote de coopérative constitue une première étape, réplicable à d’autres régions viticoles en France et dans le monde, voire élargi à d’autres productions agricoles.
Juin 2013, diplômée !
Ayant très envie de poursuivre le projet et de rendre réelle cette fiction de CMVV, je pars en stage pour neuf mois au Togo et me retrouve immergée dans l’univers des makers et des fablabs. Tant mieux ! Le fonctionnement de ces lieux atypiques en plein essor m’inspire fortement, tout comme ce que j’apprends de la culture africaine.
L’incubateur Agro Valo Méditerranée de Sup’Agro Montpellier m’ouvre les portes de ses laboratoires spécialisés dans la filière viticole et décide de m’accompagner à développer la Coopérative, en commençant par deux matériaux: le medium de bois issu du sarment et un nouveau matériau à mi-chemin du papier et du plastique, 100% bio-sourcé vinicole, destiné à de l’étiquette de bouteille.
Janvier 2015, au boulot !
En attendant de pouvoir lire ma seconde chronique, je vous concocte une page d’information en ligne sur le projet d’ici la fin du mois, c’est promis !