En workshop avec l’homme qui codait la terre
Publié le 22 juillet 2014 par Carine Claude
La Gaîté lyrique accueille dans son Laboratoire ouvert Pixel Ache et Mal au pixel. Qui organisaient ce week-end un workshop « earth coding » (coder la terre, littéralement) avec l’artiste Martin Howse. Makery y était.
Et si la Terre n’était finalement qu’un vaste programme informatique ? L’artiste britannique Martin Howse court après cette intuition en se demandant comment transformer l’activité terrestre en code. Avec une patience d’explorateur botaniste, le poète-performeur-codeur arpente villes et forêts pour décrypter les signaux électromagnétiques, capter les frottements telluriques et écouter les plus infimes traces de vie en sous-sol qu’il transforme en lignes de code, révélatrices de l’interaction entre les hommes et la Terre. « Les liens entre les technologies contemporaines et la Terre peuvent aboutir à une nouvelle forme de land art », explique-t-il à l’occasion de Pixel_Lab #3, workshop de « earth coding » organisé par Mal au Pixel et Pixelache à la Gaité lyrique les 19 et 20 juillet.
Devant une dizaine de participants, Martin Howse déballe sa valise de prestidigitateur bourrée de sachets de soufre, de sable et de poudre d’aluminium – « histoire de fabriquer soi-même son silicium » -, de capteurs, de gants Mapa sensitifs pour fouiner dans le sol, de truelles électroniques et de boîtiers d’amplification DiY avant d’embarquer la troupe composée d’artistes, d’étudiants, de scientifiques et de makers au Parc de Saint-Cloud, pour une collecte de données collaborative. Et profiter de l’orage approchant pour enregistrer les craquements atmosphériques amplifiés par la terre qui joue le rôle d’antenne hertzienne naturelle. Avec un large sourire, l’artiste-chercheur s’explique : « C’est la première fois que je fais un workshop de ce type. L’atelier est une expérimentation collective, je ne suis pas là pour enseigner des méthodes, mais plutôt amener la réflexion sur les relations complexes qui existent entre la technologie et la Terre. »
Du wormcoding à la poésie du code
Pour mener à bien le processus d’extraction des informations, le groupe effectue des relevés aussi bien mécaniques que chimiques. Les réactions viennent des bactéries, champignons, mousses, insectes… et surtout des vers dont Martin Howse s’est inspiré pour faire du « wormcoding ». Convertis en code brut, les enregistrements révèlent des suites textuelles examinées le lendemain en atelier. « En fait, je passe du wormcoding à la wormpoetry, basée sur ces probabilités de mots. Mes recherches sont surtout influencées par l’écriture, plutôt que par l’art visuel. J’aime observer l’environnement et comprendre comment les choses deviennent vivantes. » Entre deux citations d’Edgar A. Poe, les participants découvrent les vers du jour (les énoncés poétiques, pas les lombrics) du type « thetsper tind the th’s the ther the be.t thinlack stspeth bylou a leans », avant de partir sur une expérience de codage des mouvements de l’eau en mode DiY, munis de pailles et de gobelets.
La terre en OS
« Ce ne sont pas tant les effets ou les résultats que les processus eux-mêmes qui m’intéressent, car les choses ne vont pas à sens unique, en fonction de l’action humaine. Cela dépend aussi de la terre, de ses réactions, de ses effets », précise Martin Howse pour qui l’observation de la relation entre psychisme et phénomène géophysiques permet de maintenir une distance critique vis-à-vis des usages de la technologie. Il y fait également la démonstration d’Earthboot, projet développé quelque années auparavant. En connectant directement son ordinateur à la terre, ce ne sont plus des mots mais des lignes d’instructions aléatoires qui sont générées pour démarrer le PC, plutôt que de passer pas un système d’exploitation. « Même si ça a fait crasher mon laptop plus d’une fois ! »
Martin Howse quitte Paris pour retrouver son atelier berlinois et poursuivre ses expérimentations, entre autres un projet de sonification de la formation des cristaux qu’il présentera en France à l’automne prochain. En attendant de se remettre à l’écriture, non codée cette fois-ci. « Mais plutôt en hiver, car je réserve l’été à mes collectes de terrain, c’est plus propice. »